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Cédric Ringenbach n’est pas journaliste. Pourtant, il connaît l’importance de l’accès à l’information sur le climat. Cet ingénieur a mis au point, en 2015, un atelier d’une durée de 3 heures, appelé la Fresque du climat. Ce dispositif pédagogique accessible à tous (et notamment aux journalistes) permet à ses participants de comprendre l’essentiel des causes et conséquences du dérèglement climatique et de s’approprier les ordres de grandeur. Cet épisode vous est proposé dans le cadre du Podcasthon.

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Pour cet épisode spécial, enregistré dans le cadre du Podcasthon (un évènement qui rassemble des podcasteurs souhaitant mettre en avant des initiatives altruistes et solidaires), nous avons décidé d’interviewer Cédric Ringenbach, le créateur de la Fresque du climat.

En France, près d’un million de personnes devraient avoir l’occasion de découvrir cet atelier à la fois ludique et pédagogique permettant de comprendre, en 3 heures, l’essentiel des enjeux climatiques, mais surtout de passer à l’action collectivement parce que ce dispositif encourage l’intelligence collective.

Ces derniers mois, de nombreux journalistes ont été sensibilisés à la question du dérèglement climatique en participant à ces Fresques du climat dans le cadre de plans de formation mis en place pour accélérer le tournant écologique des médias.

Cette conversation permet justement de prendre un peu de recul sur les questions de pédagogie autour du réchauffement climatique et de ses conséquences : comment inclure le plus grand nombre ? Respecter les ordres de grandeur ? Mais aussi accélérer la prise de conscience pour permettre à chacun d’avoir une prise sur la transition climatique à venir ?

Dans cet épisode, enfin, vous retrouvez les questions envoyées par Juliette Quef, cofondatrice de Vert et formatrice Samsa, et Catherine Cattin, journaliste indépendante, formatrice Samsa et animatrice de fresques (ceinture verte).

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Cet épisode a été enregistré en public le 17 mars 2023, à Créatis, et réalisé par Sylvain Pinot.

Transcription de l’entretien avec Cédric Ringenbach

JLB :

Bonjour, c’est Julien Le Bot et aujourd’hui, je suis avec Cédric Ringenbach, qui est le créateur de La Fresque du climat. Sur nos écrans, dans les podcasts, les JT, les flashs, mais surtout dans les conversations en général, le dérèglement climatique est de plus en plus présent. Mais pour autant, pas sûr que tout le monde comprenne bien en quoi nous faisons face à un enjeu systémique. Et pas sûr non plus que chacun mesure bien l’ampleur des défis auxquels nous sommes tous confrontés. Et pourtant, c’est fondamental. Pour construire des stratégies d’adaptation au réchauffement climatique, il est urgent de sortir du déni. Il est essentiel surtout de fabriquer de l’intelligence collective si l’on souhaite construire des réponses à la fois fortes, mais aussi justes et durables. Sauf que l’intelligence collective, ça ne se décrète pas. Et le débat public, qui est aujourd’hui particulièrement fragmenté, polarisé, laisse parfois peu de place à la nuance et peu d’espace aussi pour construire du consensus ou du commun. En France, Cédric Ringenbach a mis au point la Fresque du climat, qui est un atelier à la fois ludique et pédagogique très efficace, qui permet justement de fabriquer de l’intelligence collective en trois heures, à partir de 42 cartes, on va en reparler.

En France, fin février 2023, on dénombrait 41 370 animateurs de Fresque et quasiment 900 000 participants à ces fresques. Et il se trouve qu’au sein de cette population de personnes dites « fresquées », c’est à dire qui ont été sensibilisées à l’exercice, on dénombre de plus en plus de journalistes. Chez ,Samsa.fr, on en sait quelque chose puisque nous accompagnons des groupes de presse dans leur transition climat. Et la plupart des formations commencent précisément par cette fameuse Fresque du climat. Pour cet épisode spécial qui est enregistré dans le cadre du Podcasthon, le premier événement caritatif qui invite des podcasteurs à mettre en avant une association de leur choix pour promouvoir les valeurs de l’altruisme et de la solidarité, nous avons donc eu envie d’inviter celui qui a cofondé et qui préside l’association de la Fresque du climat. On va donc lui poser des questions sur cette fameuse transition climatique des médias qui ne fait que commencer avec des questions comme « les journalistes sont ils vraiment nuls quand il s’agit de parler du climat ? Que faudrait-il pour être plus rigoureux, plus efficace, plus pédagogue ? Et en quoi la fresque est-elle un moyen de former et d’informer ? »

C’est ce qu’on va essayer de comprendre dans cet épisode sur la Fresque du climat. 

Bonjour Cédric.

CR :

Bonjour Julien.

JLB :

Cédric, tu as créé la Fresque du climat en 2015. Tu es d’ailleurs le président de l’association La Fresque du climat. Et en ce printemps 2023, on est proche du cap du million de personnes « fresquées ». Pour commencer, et pour ceux qui ne connaissent pas, peux-tu décrire de manière très basique ce qu’est une Fresque du climat ?

CR :

Une Fresque du climat, c’est un atelier pédagogique qui est basé sur l’intelligence collective. Ça se joue à plusieurs. On met cinq à sept personnes autour d’une table et un animateur qui va donner aux participants des cartes qu’il faut remettre dans l’ordre des causes et des effets. La règle est vraiment très simple. La carte, il n’y a rien de plus à dire. On a sept cartes pour démarrer, puis plus tard, on va nous en donner d’autres. Ça se joue en équipe, c’est à dire qu’en équipe, on va lire les cartes, comprendre les liens qui les relient, qu’est-ce qui cause quoi. Et puis on refait ces liens de cause à effet. À la fin, il y a 42 cartes sur la table. Une cause peut avoir plusieurs effets, un effet peut avoir plusieurs causes, donc c’est en deux dimensions. Et on obtient comme ça quelque chose qu’on appelle une fresque, parce qu’ensuite, on va le mettre au mur et on va en faire un outil pour faire des exposés pédagogiques.

JLB :

Donc ce n’est pas une fresque sur un mur.

CR :

On le fait sur une table. Le nom de fresque s’est imposé assez rapidement parce qu’en général, ce qu’on a fait, on le scotche sur le papier et puis on finit par le mettre au mur pour faire un exposé. Et puis, éventuellement, pour le laisser en décoration pour ceux qui voudront passer par la suite et comprendre en quoi consiste le changement climatique. Il y a un animateur, comme je l’ai dit tout à l’heure, mais l’animateur, il n’est pas là pour parler pendant. trois heures. 

CR :

L’animateur n’est pas là pour faire un exposé, il est plutôt là pour animer, c’est-à-dire que ce sont les participants qui vont faire l’exercice. Et c’est ça qui fait que ça marche. C’est collaboratif, les participants sont dans l’action. Ça aussi, c’est quelque chose de très important. Par rapport aux enjeux climatiques, qui sont des enjeux qui peuvent avoir quelque chose d’angoissant, c’est important, pour lutter contre l’écoanxiété, c’est important d’être dans l’action. Et donc l’atelier, ça met les participants en action. Ils sont plusieurs, ils bougent les cartes sur la table, ils les déplacent, ils font des liens entre les cartes, etc. Ils font des flèches. Ils sont acteurs. Ça, c’est quelque chose de très important. Et ensuite, c’est aussi très important que ce soit collaboratif pour le côté pédagogique, parce que les choses se font de manière horizontale à l’intérieur de l’équipe et pas de manière descendante depuis l’animateur. Et c’est cette intelligence collective, le fait qu’on réfléchisse à plusieurs, que l’on hésite, que l’on se trompe, que l’on se corrige, etc. C’est ça qui fait qu’on retient quelque chose à la fin.

JLB :

En tout cas, on parle d’intelligence collective, mais dans le même temps, le séquençage est de trois heures. Ce n’est pas trois heures de pur jus de crâne, puisqu’on a d’abord une petite introduction très rapide pour comprendre les règles du jeu. On a une partie justement réflexion. Il y a aussi une dimension créative d’une demi heure environ. Pourquoi c’est si important d’être créateur ? D’ailleurs, qu’est ce que c’est que cette partie créative ? Qu’est-ce qu’on fait sur cette fresque ?

CR :

Une fois qu’on a posé toutes les cartes, en général, on a pris un crayon de papier pour faire les liens entre les cartes jusque là et ça ne se voit pas très bien. Donc, il y a un premier enjeu qui est de rendre les liens entre les cartes beaucoup plus visibles, visibles de loin, parce que vu que ça va être mis au mur pour faire une fresque, on veut que ce soit visible de loin. Donc on prend des feutres et on refait les liens entre les cartes. On demande également aux participants de faire des dessins, d’illustrer, de choisir une carte et d’illustrer, par exemple, ou d’illustrer ce qui leur vient à l’esprit et de choisir un titre. Et en fait, cette phase créative, elle s’est un peu imposée d’elle même au fur et à mesure qu’on a fait l’atelier. Dès le premier test, on s’est mis à faire des dessins sur la feuille. Et puis, j’ai trouvé ça intéressant. J’ai encouragé les gens comme ça un peu intuitivement. Et puis, on s’est rendu compte que ça avait une vraie utilité, cette phase créative. Parce que déjà, ça peut permettre à des gens qui étaient un petit peu en retrait dans la première moitié de la première partie qui vont pouvoir un peu plus s’exprimer parce qu’ils ont un vrai talent artistique, par exemple.

CR :

Et puis, le dessin et le choix du titre également sont des façons d’exprimer des choses, de faire sortir les émotions qui ont pu être ressenties aux participants. Donc, on va avoir des participants qui dessinent une Terre en train de brûler, une Terre en train de pleurer, une tête de mort. Ça peut être des choses qui sont un peu noires comme ça. Et le dessin est une façon d’exprimer les choses. Il y a un côté un peu thérapeutique, un peu comme des enfants qui ont subi un traumatisme. On va leur demander de dessiner et ils vont mettre sur le papier ce qui les a un peu traumatisés et ça va ressortir comme ça. Là, il y a un peu de ça. Il faut que ça sorte. Donc, il y a eu la réflexion, il y a eu la création ou la créativité, puis il y a aussi la place pour l’émotion et on peut verbaliser dans la dernière partie ce qu’on a ressenti aussi, puisqu’on a fabriqué de l’intelligence collective.

La dernière partie, elle va être sur : qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est un débat sur les solutions et, en effet, on démarre souvent ce débat par un tour des émotions pour que chacun puisse mettre des mots et dire « Voilà ce que j’ai ressenti personnellement. » Ça va être soit par petits groupes de deux ou trois où on va prendre quelques minutes pour exprimer ce qu’on a ressenti ou alors un tour de table en un seul mot, par exemple, pour se dire « J’ai ressenti de l’angoisse, de la motivation, de la colère », ce genre de choses.

JLB :

Avant de revenir sur ce qui t’a conduit à créer La Fresque du climat, ce que je te propose, c’est qu’on écoute une première question qui nous a été envoyée par Juliette Quef, qui est cofondatrice du média Vert et qui était d’ailleurs l’invitée du dernier épisode de ce podcast. On l’écoute tout de suite.

« Bonjour, Cédric. C’est Juliette Quef de Vert. La question que j’aimerais te poser, c’est : « est-ce que tu n’en as pas marre d’entendre le mot « fresque » ? Et peut être une deuxième question aussi : est-ce que c’est un choix que les cartes ne soient pas travaillées d’un point de vue graphisme ? Merci beaucoup. »

CR :

Il y a deux questions. Est-ce que j’en ai marre d’entendre le mot « fresque » ? Non, je me suis un peu habitué à vrai dire. Surtout que maintenant, il n’y a plus que la fresque du climat. Il y en a d’autres qui arrivent aussi. Oui, c’est devenu un petit peu une marque, un nom commun. Non seulement on dit des fresques, mais on dit aussi des fresqueurs pour les animateurs. On utilise le verbe « fresquer », donc ça se décline un peu dans tous les sens. On a même sorti le mot fresquage » maintenant.

JLB :

Ce qui veut dire qu’il y a une appropriation collective de l’exercice…

CR :

Oui, c’est une appropriation. C’est sympa. Quand le mot « fresquage » est arrivé, je trouvais ça rigolo. Pourquoi les cartes ne sont pas travaillées ? En effet, j’ai choisi d’utiliser plutôt des photos pour illustrer tout ça. Et ensuite, des photos, un titre et quelquefois un graphique qui vient se superposer. Et même quand il y a un graphique, il y a une photo en arrière-plan. Mais en effet, ce n’est pas travaillé au sens où ce n’est pas travaillé graphiquement. On n’a pas fait un travail avec un graphiste pour faire quelque chose. Ce n’est pas forcément réfléchi. En fait, c’est surtout que ça s’est fait comme ça au début. Il faut comprendre qu’aujourd’hui, on est un gros projet. Il y a 40 salariés, on atteint bientôt un million de personnes, on a un budget de plusieurs millions, etc. Mais ça a démarré tout petit. Et donc, en fait, la question, je ne me l’étais pas tellement posée au démarrage. J’avais mon petit PowerPoint, j’ai fait mes cartes avec des images. J’ai un peu travaillé quand même le choix des images, la disposition, mais ce n’est pas un travail de graphiste. En effet, ce n’est pas un travail avec, notamment, un dessinateur pour illustrer les cartes.

CR :

Il y a des réflexions en cours autour de ça d’ailleurs. Qu’est-ce qui marche le mieux visuellement ou émotionnellement entre les dessins et les images ? Les choses ne sont pas tranchées. Il n’est pas exclu qu’on fasse une autre version… Il y a une tentative d’ailleurs qui est en cours d’expérimentation, une version basée plutôt sur des dessins. Il y a des réflexions en cours.

JLB :

Je te propose qu’on prenne un peu de hauteur. Ici, on a l’habitude de recevoir des journalistes qui, très souvent, ont un profil plutôt littéraire. Toi, t’as un tout autre parcours. T’as fait des études à Centrale Nantes, si je me trompe pas, diplômé en 1996. Tu as d’ailleurs travaillé d’abord dans la gestion de projet informatique. Et tu sais qu’historiquement, les médias, ils ont mis du temps, beaucoup de temps d’ailleurs, avant de comprendre l’arrivée d’Internet dans les foyers, les mobiles, en quoi ça a changé le journalisme. Est ce qu’on n’a pas un peu, avec le climat, le même genre de problème de retard à l’allumage ? Et est ce que ce retard à l’allumage, il est pas lié finalement à la sociologie du journalisme, où l’on trouve peu de profils scientifiques ?

CR :

Probablement, oui, c’est possible. Quand on est à l’école, sur les rangs de l’école, collège, lycée, on essaie de savoir si on est plutôt bon en lettres ou en maths et ça, malheureusement, ça détermine un petit peu la carrière après. Et donc journaliste, ça veut dire qu’on va écrire, donc il faut être bon en orthographe. Donc quand on est bon en lettres, on va… Je réduis, je caricature. Désolé, parce qu’être littéraire, ce n’est pas juste être bon en orthographe, évidemment. Mais voilà, on va écrire, donc il faut faire une filière littéraire. Alors moi, je pense que c’est dommage parce que, en réalité, certes, on va écrire, mais on va écrire sur plein de sujets. Et donc, si on écrit sur l’histoire, ce serait bien d’avoir un background historique. Si on écrit sur la science, il vaudrait mieux avoir d’abord fait des études scientifiques et ensuite avoir appris à écrire. On pourrait en tout cas imaginer les choses comme ça. Et donc le fait que c’est un fait aujourd’hui, on va vers le métier de journaliste après avoir fait des études littéraires, on ne peut pas tout faire. Et donc, quand on a fait des études littéraires, on n’a pas forcément fait des études scientifiques en parallèle.

CR :

Et ça peut être une lacune, en effet, quand on doit traiter quelque chose de compliqué et d’assez scientifique, d’assez basé sur la science, comme le changement climatique. Alors ça, ça peut expliquer une partie du sujet. Maintenant, il y a aussi des très, très bons journalistes scientifiques qui ont bien une formation littéraire à l’origine et qui se sont mis sur les sujets, comme quoi, c’est faisable. L’enjeu avec la fresque, c’est de rendre ces notions scientifiques le plus accessible possible au grand public, à tous les profils, à toutes les formations. Et donc l’enjeu, l’ambition de la Fresque, c’est d’être accessible à tous. Et donc ça peut être un outil pour la montée en compétence des journalistes. C’est une première brique parce que c’est un peu la base. C’est une demi-journée seulement. Ça fait prendre conscience des notions principales. Ensuite, pour traiter correctement le sujet, il faut aller plus loin, il faut continuer de se former. Et là, c’est sûr qu’il va falloir avaler un petit peu de littérature scientifique sur ces sujets. Mais en réalité, c’est quand même à la portée des journalistes qui veulent bien faire l’effort de se plonger là-dedans. Il y en a beaucoup qui l’ont fait.

JLB :

Et qui ont réussi ! On le voit bien chez Samsa.fr. Alors après l’informatique, tu es tombé dans le vin, mais surtout dans le jeu. Tu as créé Carpe Vinum.

CR :

Carpe Vinum, oui. C’est ça.

JLB :

Un jeu pour dix personnes avec deux bouteilles qui permet de se poser des questions sur la dégustation du vin sans avoir à passer par un sommelier. Elle te vient d’où cet intérêt pour l’intelligence collective ?

CR :

Je crois que j’ai un intérêt pour la pédagogie de manière générale. C’est un peu un fil rouge dans ma carrière, avant même de démarrer dans la vie active. Quand j’étais étudiant, j’ai beaucoup donné des cours à des lycéens, des collégiens, des cours de maths et puis également d’autres matières par la suite. C’est vraiment quelque chose que j’aimais. J’aimais faire et je me sentais doué également pour ça. Il y a une ou deux personnes qui me doivent au moins partiellement leur baccalauréat, je pense, dans l’histoire. Donc ça a démarré comme ça. Après, j’ai commencé ma carrière également dans le conseil autour des notions de knowledge management, comment on partage les connaissances dans une entreprise et également de gestion des compétences. C’est pour dire qu’il y avait déjà une fibre là-dedans. Ensuite, j’avais une activité dans un club œnologique, mais également au niveau national, sur une fédération de clubs œnologiques en France, de clubs d’étudiants. Le côté « apprendre » était très, très profondément ancré là dedans et j’ai voulu créer un outil qui permettait à des animateurs de club de se débrouiller tout seul sans avoir besoin d’avoir à faire appel à un sommelier ou un caviste. Et donc l’idée de base, c’était un kit qui permet de se débrouiller tout seul.

Et ensuite, j’ai plus travaillé l’outil pour qu’il devienne vraiment autoporteur, qu’il n’y ait plus besoin du tout d’un animateur et que ça se passe… Du coup, il fallait que ce soit ludique. Il fallait que ça prenne la forme d’un jeu. Donc ça a pris la forme d’une espèce de petit jeu de l’oie avec deux équipes, deux ou trois équipes qui doivent répondre à des questions sur la dégustation. Des questions très faciles qui consistent à comparer deux vins entre eux. Et donc ça permettait de passer une heure en rigolant beaucoup, à prendre deux ou trois notions, tricher, tout ça. Et c’est parce que c’est ludique que ça fonctionne. Donc on fait une partie de Carpe Vinum d’abord pour rigoler. Et puis, mine de rien, à la fin de la soirée, on a retenu le nom de deux appellations à ses pages, quelques notions d’œnologie et voilà.

JLB :

Alors après l’informatique, après l’intelligence collective et le vin, 2007, je crois que tu assistes à une conférence de Jean-Marc Jancovici, qui n’est pas encore le personnage médiatique qu’il est devenu, mais qui poursuivait déjà les journalistes pour essayer de les former sur les enjeux de la transition, notamment du point de vue énergétique. Pourquoi, chez toi, il y a eu ce déclic en 2007 quand tu l’as entendu ? Qu’est ce qui s’est passé et qu’est ce qui t’a frappé ?

CR :

Je me rappelle que j’avais un blog à l’époque. Il est complètement en jachère depuis. Et j’avais écrit un petit article qui était : « Une conférence de Jeancovici : le dépucelage de ta conscience écologique ». Parce que c’est vraiment ça que ça m’avait fait. Je me suis pris une claque dans la figure ce jour là. Je crois que c’est quelqu’un qui parle bien aux ingénieurs. Je pense qu’il a un discours, une façon de présenter les chiffres qui fait que quand on est aussi ingénieur, on comprend bien son message.

JLB :

Et qu’est ce que tu as compris à l’époque ? 

CR :

J’ai compris que le sujet était grave. C’était ça. Surtout qu’on en avait parlé vaguement. Pour moi, c’était un sujet d’écolo. Je n’étais pas spécialement écolo. Pour être honnête, j’avais même une forme de petit mépris pour les écolos. Je ne savais pas de quoi ils voulaient parler. J’étais très, très loin de ces sujets. Et là, ça m’a vraiment mis une claque. Je me suis rendu compte que c’était grave, que c’était un sujet de société, que l’avenir de l’humanité était en cause. Et en quelques mois, c’est devenu un sujet de préoccupation majeure. Jusqu’à ce qu’un jour, je décide que ça serait mon métier. Plusieurs mois plus tard.

JLB :

Et en 2008, tu as décidé de t’autoformer, si je ne m’abuse. Tu t’es mis à lire.

CR :

Les rapports du GIEC 2008, ça a été le déclic où ça a été la véritable décision que ce serait un jour mon métier. Et 2009, en effet, j’ai arrêté mes activités de consulting pour me mettre sur la lecture des rapports du GIEC et je me suis auto formé. Donc j’ai lu les résumés techniques, c’est à dire à peu près 400, 500 pages en tout des rapports du GIEC. J’ai lu tout le site de Jean-Marc Jancovici, qui s’appelle maintenant sur jancovici.com. Je peux vous dire qu’il y a pour à peu près deux semaines de lecture à mon rythme en tout cas. Et puis quelques autres rapports qui me sont tombés sous la main aussi. Mais ça a été ma formation initiale, les rapports du GIEC et au fur à mesure que je lisais, je me constituais mes slides pour le jour où je commencerai à donner des cours, faire des conférences, etc. Jusqu’à ce que je me mette devant mon ordinateur pour me dire : « Allez, je vais dérouler à l’oral mes slides pour voir combien de temps ça dure ». Je pensais que j’avais une conf d’une heure de prête.

CR :

Et au bout d’une heure, j’avais fait à peine un cinquième de mes slides. Donc en fait, le jour où j’ai fait ça, j’ai réalisé que j’avais déjà quasiment une journée de cours de prête et je n’avais pas encore fini de lire les rapports. Plus tard, il a fallu faire l’exercice très difficile et douloureux de dire « OK, si j’ai qu’une heure, qu’est ce que je garde et dans quel ordre je mets les choses ? » Un truc très, très compliqué. Et donc voilà, après, j’ai donné à la fois des conférences et des cours et plus tard, j’ai testé ce format un peu plus interactif.

JLB :

Mais il y a un détour qui est intéressant peut être à faire, c’est le fait que si Jancovici t’a peut être mis sur la voie de l’écologie, t’as aussi travaillé au Shift Project que tu as dirigé. Peut-être tu peux revenir sur ce que c’est que le Shift Project ?

CR :

Oui, alors le Shift Project, c’est un think tank qui travaille sur les questions de climat et d’énergie qui a été créé par Jean Marc Jancovici en 2010. En 2009, je m’étais formé sur les enjeux climat, énergie. J’ai donc postulé chez Carbon 4, qui était la seule entreprise que je connaissais dans ce secteur, pour aller faire du conseil dans ce domaine là. Je n’ai pas été recruté chez Carbon 4, mais Jancovici m’a proposé de démarrer l’aventure. L’aventure de Shift Project était donc une start up. On partait de rien. Pourquoi toi ? 

J’avais candidaté pour Carbone 4. Il avait compris que j’avais déjà monté une entreprise, que j’allais me sentir à l’aise avec l’idée de partir de rien pour monter le think tank. C’est ce qui l’a convaincu de me proposer l’aventure. J’ai travaillé pendant six ans à faire recruter une équipe, lancer les premiers travaux, etc. Et ça a été génial pour moi parce que, déjà, j’ai pu travailler avec Jancovici, qui est quelqu’un d’extraordinaire. Et puis ça a été une plongée dans le contenu de la transition énergétique, le climat, la transition. J’ai passé six ans à à la fois gérer une entreprise, mais aussi à mettre les mains dans le contenu des rapports qu’on produisait, des propositions de décarbonation de l’économie. C’est ça qui m’a forgé ma culture générale sur le sujet. Je dois beaucoup à cette expérience professionnelle.

JLB :

C’est en 2015, devant des étudiants, que tu essaies ce dispositif d’apprentissage à partir d’un système de cartes, si je ne me trompe pas ?

CR :

Oui, on ne peut même pas dire que c’était des cartes parce que c’était des demi A4 sur lesquelles j’avais imprimé des bouts de graphique du GIEC. Et c’était pas vraiment des étudiants non plus. C’était des gens qui avaient accepté de passer une journée à entendre parler du climat. C’était des amis ou des contacts professionnels. C’était cinq ce jour là et on a déroulé beaucoup de PowerPoint, mais je voulais qu’ à un moment donné, ils aient quelque chose de plus interactif dans les mains, de faire la synthèse de ce qu’ils avaient entendu jusqu’ici. Et je leur ai imprimé ces graphiques. En fait, c’était mes slides. J’ai imprimé un certain nombre des slides que je leur avais montrés pour qu’ils puissent retrouver qu’est ce qui relie ces slides entre elles, qu’est ce qui relie ces notions entre elles ? Quels sont les liens de cause à effet ? Et quand je les ai vus faire l’exercice, je les ai écoutés, discutés, j’ai compris. C’était très maladroit. Ils avaient des mots qui n’étaient pas exactement les bons et ils cherchaient, ils tâtonnaient. Mais je comprenais que dans cet exercice, ils étaient vraiment en train de comprendre et ils comprenaient beaucoup plus vite que de manière passive, en écoutant juste quelqu’un qui parle et en regardant des slides.

Et là, je me suis dit « OK, là, il y a vraiment un outil qui est intéressant ». Et j’ai décidé ce jour là que j’allais utiliser cet outil à chaque fois que je donnerai un cours, que j’ai deux heures devant moi ou une journée ou une semaine, à un moment donné, on allait faire cet exercice. Et puis ça m’a permis de l’améliorer progressivement, de rajouter plus tard la partie débriefing où on fait ce qui fait qu’aujourd’hui l’atelier dure trois heures. 

JLB :

Le 26 mars 2018, j’ai l’impression que c’est l’accélération de l’histoire. On te demande d’animer une fresque pour 900 personnes dans un pôle universitaire et c’est là où, en gros, tu essaies, autour de toi, de rassembler d’autres animateurs pour t’aider à ce que le dispositif soit autoporteur du point de vue des apprenants eux mêmes, mais qu’en plus, d’autres personnes puissent t’aider à encadrer ce processus d’intelligence collective.

CR :

Oui, exactement. Parce qu’ à ce moment là, en mars 2018, j’avais déjà prêté le jeu à quelques amis, mais les gens qui avaient vraiment animé l’atelier, ça tenait sur les doigts d’une main et quelques. Et là, j’ai l’opportunité de faire jouer 900 étudiants et j’ai deux semaines pour me préparer. Donc, j’ai eu deux semaines pour trouver une trentaine d’animateurs. Et donc ça a été un peu chaud, mais j’ai réussi. J’ai proposé plusieurs sessions de formation à des gens qui n’avaient jamais joué et ils n’avaient même pas joué à l’outil. Ils ont à la fois découvert l’outil, je leur ai mis dans les mains de quoi animer. Et puis, c’est parti, rendez vous le jour J. Donc, en échange de cette formation, vous venez animer avec moi ce jour là. Et j’ai réussi à trouver pile poil mes 30 animateurs. Et donc là, c’était un peu le saut dans le vide. Qu’est ce qui va se passer ? Est ce qu’ils vont s’en sortir ? Etc. Et puis ça s’est bien passé. Et en plus, c’était quand même un chaud parce que, chacun, ils avaient 30 élèves à gérer, c’est à dire cinq tables de six personnes. Donc ils couraient dans tous les sens avec leurs jeux de cartes.

Et ça se passe bien. Les élèves sont ravis. Les animateurs sont super contents. Ils ont envie de continuer d’animer et l’administration est très contente aussi. Et à la fin de la journée, je me dis « OK, waouh ! Cet outil, il est vraiment autoporteur. » Je l’avais déjà expérimenté, ça, qu’il était autoporteur, mais à ce point là, maintenant, j’ai vraiment la preuve. Et donc ça peut permettre de passer à l’échelle. Et à partir de là, ça a déclenché toute une dynamique. Les animateurs ont continué d’animer. Certains sont devenus formateurs d’animateurs. Et puis, quelques mois plus tard, on a créé l’association parce qu’il fallait que ça devienne aussi leur projet à eux. Et puis, c’est aussi le moment où j’ai fixé de manière définitive la licence d’utilisation qui est très ouverte et qui permet à tout le monde.

JLB :

D’utiliser le jeu. Justement, on en reparlera, mais en tout cas, cinq ans plus tard, on approche du million de personnes fresquées, pour reprendre ce mot que tu as employé aussi. Est ce que tu as eu des moments de doute ou de découragement ou est ce que vraiment tu as ressenti cette appropriation par des personnes autour de toi ? Est ce qu’il fait que finalement, assez naturellement, au fond, le dispositif a réussi à être suffisamment autoporteur pour continuer de convaincre toujours plus de personnes de passer par cette fresque ?

CR :

Des moments de doute, on en a toujours sur ces sujets parce qu’on voit que ça n’avance pas assez vite de toute façon. Il arrive de faire des fresques avec des publics de décideurs qu’on n’a pas envie de savoir, qu’on n’a pas envie de comprendre. Et ça, c’est des moments qui sont assez plombants, ça c’est vrai.

JLB :

Donc la fresque ne marche pas à tous les coups ?

CR :

Non, ça ne marche pas à tous les coups, ça ne marche pas avec tout le monde. Mais en fait, on ne sait jamais parce que tu peux avoir des participants qui sont complètement réfractaires. Et puis en réalité, toi, tu ne le sais pas, tu ne le vois pas, mais tu as peut être planté une graine et puis quelques semaines plus tard, quelques mois plus tard, en discutant avec leur neveu ou je sais pas quoi, il y a quelque chose qui fera le déclic. Et puis voilà, mais tu peux pas le savoir. 

JLB :

Mais tu as eu des fresques avec des personnes qui n’avaient pas envie de comprendre, de jouer le jeu.

CR :

Oui, tu peux tomber sur des gens qui veulent pas comprendre, qui veulent pas croire que c’est vrai, tout simplement, parce que c’est trop insupportable. Donc, il y a des moments comme ça où tu désespères un petit peu, mais sinon, globalement, moi, je n’arrête pas de rencontrer des gens des animateurs qui viennent me voir, qui me remercient, qui me disent « La fresque a changé ma vie. J’ai quitté mon boulot, je suis devenu fresqueur. » J’ai enfin un outil pour expliquer ça à mes amis parce qu’avant, je n’arrivais pas à leur faire passer ce message. Ça, moi, ça me booste tous les jours d’avoir ces retours de la communauté des animateurs. C’est une communauté extraordinaire. Comme tu l’as dit tout à l’heure, il y a maintenant 40 000 personnes qui ont été formées, des milliers d’entre eux.

JLB :

Formées à l’animation ?

CR :

Formées à l’animation, exactement, qui sont des animateurs et des animatrices de La Fresque. Et puis des milliers d’entre eux qui sont très actifs et des centaines qui prennent part à la vie de l’association en étant formateurs, instructeurs, en étant référents sur le terrain. Et il y en a qui donnent un quart de leur temps, un mi temps pour certains, pour animer localement la communauté. Donc c’est vraiment une communauté hyper dynamique, hyper motivée et ça, ça fait vraiment chaud au cœur.

JLB :

On est écoutés principalement par des journalistes. Il y a une idée pédagogique que je trouve intéressante dans la fresque et dont tu vas nous parler, c’est ce qu’on appelle le fait d’avoir à lutter contre l’effet Dunning-Kruger. C’est à dire que quand on ne connaît pas bien le sujet, on a l’impression de bien le connaître et quand on le connaît bien, on a l’impression de ne pas en savoir assez. Est ce que tu peux nous raconter ça et en quoi on peut réussir avec la fresque à surmonter cet effet ?

CR :

En effet, l’effet Dunning-Kruger, je le trouve très intéressant. Il me permet de comprendre des choses. Je vais reprendre l’origine vite fait. C’est deux psychologues qui sont tombés sur un fait-divers. Il y a un monsieur qui est arrivé dans un magasin pour le braquer et il s’était mis du jus de citron sur le visage parce qu’il avait lu que l’encre invisible, que le jus de citron peut faire de l’encre invisible. Et donc, il était persuadé qu’il allait passer inaperçu aux caméras de télésurveillance en se mettant du citron sur la figure. Et là, les psychologues se sont dit : « Comment est-ce qu’on peut être aussi bête ? » Et ils se sont dit : « Il faut qu’on travaille là-dessus. »

Et en fait, ils ont réalisé que l’explication, elle est dans le fait que quand t’es bête, t’es même pas en mesure de mesurer à quel point t’es bête. Il y a une symétrie à l’effet Dunning-Kruger qui est, en fait, quand tu deviens… Quand t’es incompétent, de manière plus générale, quand t’es incompétent dans un domaine, t’es tellement incompétent que t’as même pas d’éléments de mesure, de repère pour te rendre compte que t’es incompétent et donc tu te crois compétent et tu te crois autorisé à dire des choses sur un domaine que tu connais pas.

Et alors la symétrie de ça, c’est que tu vas commencer à te former sur un domaine, lire des choses, etc. Et puis, à un moment donné, tu prends conscience de tout ce qui reste à découvrir sur ce domaine là et que tu viens à peine d’effleurer. Et là, tu acquiers beaucoup d’humilité par rapport à ce domaine de connaissance que tu es en train de découvrir. Et là, tu es dans la position inverse, c’est à dire que tu es très humble par rapport à tout ce qui reste à comprendre. Donc l’effet Dunning-Kruger, c’est ça. Mais il y a également la symétrie qu’avec les autres. Donc quand tu ne connais pas un sujet, tu vas te surévaluer et sous évaluer les autres. Tu imagines que tu en sais plus que les autres sur ce sujet, éventuellement. Moi, ce qui m’intéresse, c’est surtout l’autre partie. C’est à dire que quand tu deviens expert d’un domaine, non seulement tu sous estimes tes compétences, c’est à dire que tu as l’impression que ce que tu sais, c’est d’une banalité affligeante, et puis surtout, tu sais ce qu’il reste à découvrir, mais aussi, ce que tu sais, à un moment donné, t’as l’impression que c’est une évidence pour toi, mais aussi pour les autres.

T’as oublié le chemin que t’as fait pour arriver à ce niveau de connaissance. Moi, je l’ai vécu parce que je donnais mes premiers cours sur le climat et en donnant ces cours, à un moment donné, j’ai dit, je me rappelle précisément que c’était sur la phrase « la concentration en CO₂ est de 390 ppm. » Ça a bien augmenté depuis, mais à l’époque, c’était 390 ppm. Et en disant ces mots, je me suis dit « Mais qu’est ce que je leur raconte ? ». Normalement, ils le savent déjà. Et après, je me suis repris en me disant « Mais en fait, t’es con parce qu’il y a six mois, tu le savais pas toi même. Donc en fait, non. Non, en fait, ils n’ont pas de raison de le savoir ». Tous ceux qui bossent sur ces sujets depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, ils sont probablement dans la même situation que moi. C’est-à-dire qu’ils ont appris des choses, c’est devenu une évidence pour eux et du coup, ils vont négliger l’importance qu’il y a à aller expliquer ça à tout le monde. Parce que c’est devenu une évidence pour eux. Moi, je l’ai vécu à un moment donné et après, de toute façon, je me suis dit « On n’y reprendra pas.» Je dis, il va falloir vraiment prendre l’effort, faire l’effort d’expliquer le sujet à tout le monde. Et quand on sera très nombreux à avoir compris de quoi il s’agit, on pourra enfin parler des solutions. Et là, on sera au bon niveau pour mettre sur la table des solutions qui sont à la hauteur.

JLB :

Moi, j’ai l’impression que ce qui est intéressant, c’est que justement, c’est un accélérateur de prise de conscience, même s’il est imparfait dans la prise de connaissance, puisqu’on ne fait que lier un peu de loin des causes à conséquences. Et puis, on fait confiance aussi aux cartes. On se dit qu’effectivement, les connaissances synthétisées ont été correctement synthétisées, mais elles permettent peut être d’aller plus vite vers de l’intelligence collective pour réussir à avancer vers les solutions. Est ce que ça veut dire aussi que d’un point de vue médiatique, les journalistes, peut être, doivent se dire que ce n’est pas grave si on n’est pas parfait, pas complètement précis, il faut qu’on arrive à faire ce chemin ensemble vers de l’intelligence collective.

CR :

» Oui, alors après, si tu es journaliste, tu as quand même un enjeu de pas trop taper à côté de la plaque parce que tu peux te prendre un retour de flamme. On a vite fait, sur un sujet technique, de dire « une approximation. » 

JLB :

Ce qu’on dit souvent, par exemple, c’est les ordres de grandeur, c’est très compliqué.

CR :

Oui, par exemple, oui. Les ordres de grandeur, on peut se tromper. Donc, on a très vite fait de dire un truc de travers et après, on va se faire reprendre par des scientifiques, par des gens qui connaissent un peu le sujet, etc. À nouveau, c’est une question d’humilité. Il faut avoir l’humilité de reconnaître qu’on ne connaît que le début et, par exemple, se faire relire par un scientifique qui va très vite identifier. Là, il y a une boulette. Alors ça, ce n’est pas exactement que c’est faux, mais exprimé comme ça, on pourrait le comprendre de travers. Si on est très rigoureux, il faudrait le tourner autrement, etc. Après, il y a aussi un compromis à trouver entre la rigueur scientifique, dire un truc qui est exactement parfait sur le plan scientifique, et l’enjeu pédagogique. C’est à dire que pour atteindre l’objectif pédagogique, il faut accepter éventuellement de simplifier légèrement certaines notions et de faire une entorse à la rigueur scientifique. Ce que je fais dans la fresque du climat, il y a des chiffres qui sont arrondis. Je préfère que les gens repartent en ayant retenu les chiffres que de leur avoir donné le chiffre exact.

Donc, il y a des chiffres qui sont arrondis, à deux chiffres significatifs, par exemple, ou voire moins. Et puis il y a des notions qui sont très légèrement simplifiées, mais qui sont… C’est un petit compromis avec la pure rigueur scientifique dans le but d’arriver à quelque chose qui, sur le plan pédagogique, va marcher. Et les journalistes seront confrontés certainement à la même chose. Donc, quelquefois, il faudra… Par exemple, dans une discussion entre un journaliste qui a écrit son papier et une et un scientifique qui va le relire, il va y avoir ce débat entre à quel point on veut respecter la vérité scientifique, la rigueur et à quel point on veut que les lecteurs en face comprennent. Et il ne faut pas forcément que ce soit le scientifique qui tranche. Le journaliste a la responsabilité, une fois qu’il a bien compris le sous-jacent scientifique, une fois qu’il l’a bien compris, qu’il assume une petite partie, une part de simplification pour que le message soit audible.

JLB :

Et il y a même un deuxième aspect, c’est que dans les rédactions, il y a une trouille quand on parle du climat ou de l’écologie, c’est d’être taxé de militant. Comment tu situes avec la fresque la ligne de partage, justement, entre la science et la politique ?

CR :

Moi, le commentaire qu’on m’a fait la remarque la plus élogieuse qu’on ait pu me faire sur la fresque, c’est quelqu’un qui m’a dit « C’est pas militant. » Et je trouve que c’est vrai parce qu’en fait, c’est basé sur des rapports scientifiques et ça ne contient aucun message militant. La première partie, ça consiste à poser des cartes sur une table et refaire les liens de cause à effet. Donc c’est purement de la science. C’est très factuel. Chaque carte, c’est un constat incontestable et ensuite, on refait les liens. C’est sûr qu’à la fin, on pose les dernières cartes, c’est des conséquences assez catastrophiques et on se dit « wow ! ». La première carte, c’est les activités humaines qui sont bien la cause de tout ça. À la fin, il y a des conséquences sur les humains qui sont catastrophiques. Et là, on se dit « en fait, c’est bien l’humain qui est responsable de ça. » Mais c’est le participant qui le déduit. C’est le participant qui conclut par lui même que c’est bien les activités humaines qui nous amènent tout ce bazar. Et c’est lui qui va décider de ce qu’il veut en faire de ça.

Est-ce qu’il va ressentir un sentiment de culpabilité, de colère, de panique ? Est-ce qu’il va se mobiliser pour dire « Je veux travailler là dessus, je veux trouver des solutions, etc. » ? Et la deuxième moitié de l’atelier, en effet, ça consiste à parler des solutions, mais la fresque ne porte pas de solution, ne dit pas « Il faut faire ceci, il faut faire cela. » L’animateur va être là pour guider la discussion et donner la parole à tout le monde pour qu’on ait une vraie discussion avec les participants et que tout le monde puisse exprimer ce qu’il faudrait faire. Évidemment, ça démarre avec des petits gestes du quotidien qui ne pèsent pas grand chose. L’animateur a le droit de se permettre quand même de dire : « Oui, d’accord, mais ce que tu dis là, éteindre l’eau du robinet, c’est quand même des choses qui ne pèsent pas grand chose. » Il y a souvent dans l’animation, un moment, on redonne les ordres de grandeur de ce qui pèse vraiment dans le bilan de carbone d’un Français, par exemple. Donc, il va se permettre de faire ça. Mais ensuite, sur comment est ce qu’on réduit notre impact, notre empreinte carbone ?

C’est une discussion qui doit être vraiment participative pour que chacun puisse s’exprimer. C’est pour ça que la Fresque, en fait, elle n’est pas militante, même si elle va permettre de déclencher une discussion dans laquelle il y a des choses qui vont être dites qui sont militantes. Éventuellement, il y a des phrases qui vont être prononcées qui peuvent être assez militantes. Mais la fresque elle-même ne l’est pas.

JLB :

Même sans dire militant, politique, c’est à dire…

CR :

Au minimum politique, bien sûr, parce que…

JLB :

Quand on parle de réponse, il y a des.

CR :

Réponses aussi collectives. Les réponses sont politiques. Si on décide que… Il y a un débat qui revient très souvent sur les inégalités, il va falloir… On aura du mal à traiter le problème du climat sans traiter également celui des inégalités. Ça, c’est extrêmement politique de dire ça. Et en même temps, le GIEC s’exprime là-dessus. Il y a des gens qui ont dit que ce sera très difficile de résoudre le problème du climat sans embarquer celui des inégalités dans l’équation. Mais donc, il y a des choses qui vont être exprimées, qui sont de l’ordre du politique. Mais ce n’est pas la fresque qui porte un message spécialement politique.

JLB :

Et si on revient sur ton expérience de fresque, par exemple, dans des comités de direction, quand ça freine, finalement, j’imagine que c’est moins sur les connaissances scientifiques que sur les conclusions qu’on peut en tirer. Ou est-ce que c’est dès l’étape antérieure où ça bloque ?

CR :

Il y a de moins de moins en moins de critiques sur le constat scientifique. Il y a des gens qui seraient véritablement climatosceptiques, on le rencontre de moins en moins dans les ateliers. Par contre, en effet, sur les solutions, j’ai envie de dire que ce que je vois surtout aujourd’hui, c’est une tentation de se raccrocher au techno-solutionnisme. La technologie va nous sauver. Ça, c’est vraiment quelque chose qui revient assez souvent. 

JLB :

On électrifie les voitures, on ne change rien et tout ira bien.

CR :

Exactement, on électrifie les voitures, mais on continue à avoir des voitures de la même taille, de faire autant de kilomètres, etc. On passe sur l’hydrogène, on fait des avions à l’hydrogène et on pense qu’on va pouvoir tout faire. Et surtout, on a un mépris pour ceux qui ne sont pas d’accord avec nous parce que vous vous tenez pas compte des ruptures technologiques, de l’inventivité humaine, etc. C’est souvent ça qu’on rencontre. Quand on a un peu fait les calculs avant, qu’on connaît les ordres de grandeur et qu’on connaît aussi la physique, parce qu’à un moment donné, un rendement de plus de 100 %, ça n’existe pas, sinon on a inventé le mouvement perpétuel. Quand on connaît tout ça, on est capable de dire qu’il y a certains rêves qui seront malheureusement pas réalisables. C’est surtout sur ce terrain là que je trouve qu’il y a aujourd’hui un gros travail à faire pour déconstruire un certain imaginaire dans lequel la technologie nous sauve. 

JLB :

On va faire un petit détour aussi par l’association, puisqu’on enregistre ce podcast dans le cadre du Podcasthon. La transition climatique, c’est une urgence pour nos sociétés, mais il y a quand même du travail à faire dans l’accompagnement des sociétés dans cette transition. L’association elle-même n’a pas de tabou avec l’argent. Elle a même un business model, pour ainsi dire. Comment l’association gagne de l’argent ?

CR :

L’association, elle gagne de l’argent parce que déjà, elle touche les droits d’utilisation du jeu. La licence est très ouverte, donc tout le monde peut utiliser le jeu. On peut utiliser le jeu dans un contexte gratuit, bénévole, associatif, et là, il n’y a pas de droit à reverser. On peut aussi utiliser le jeu, l’atelier, pour faire des prestations, aller voir une entreprise, lui proposer une prestation. Et dans ces cas là, je me suis dit que c’était important qu’on puisse le faire. Et je me suis dit aussi que quand j’ai créé la licence, je me suis dit aussi que quand on faisait ça, il n’y avait pas de raison de ne pas récolter une petite partie pour l’association. Et donc il y a 10% qui reviennent à l’association. Il y a également trois euros par participant dans le cas d’un usage en interne dans une entreprise. On déploie aussi, on a formé des animateurs en interne dans l’entreprise et quand ils animent, là, il n’y a plus de 10% puisqu’il n’y a plus de factures, mais il y a 3 € par participant. Ces droits d’utilisation sont collectés par l’association. Ensuite, l’association, elle a besoin, pour faire connaître le jeu, d’animer des ateliers.

Elle anime plein d’ateliers en présentiel, en distanciel un petit peu aussi. Et ces ateliers sont l’occasion pour certains animateurs débutants ou un peu moins débutants d’animer. Parce que les animateurs, ils ont envie d’animer dans certains contextes. Donc, ils ne demandent même pas à être rémunérés pour ça. Donc, ils animent bénévolement pour l’association et ces ateliers sont rémunérés, sont payants, pardon. Ils ne sont pas rémunérés, mais ils sont payants pour les participants et les animateurs ne sont pas rémunérés. Donc ça fait des revenus importants pour l’association. Ensuite, le métier de l’association, c’est vraiment de former les animateurs. Elle a été créée pour ça, pour diffuser l’outil, donc former des animateurs. Là, à nouveau, la plupart des formations aujourd’hui sont animées par nos formateurs, nos ceintures vertes, qui le font bénévolement et alors que les participants payent quelque chose. Ensuite, il y a d’autres choses qui se sont mises en place. Il y a des appels entrants. Il y a des entreprises qui nous contactent pour être mis en relation avec un animateur. Donc soit on lui refile le contact et puis il reversera en plus de 10 %, il reversera 10 %, voire plus à l’avenir, je ne sais pas, 20 % d’apport d’affaires.

Et puis, il y a des formations en inter-entreprises, des formations d’une journée entière au lieu d’une demi journée, qui sont proposées à des gens qui ont vocation à déployer l’outil dans une entreprise. Là, ils vont payer beaucoup plus cher par personne et l’animateur, dans ce cas-là, il est rémunéré. C’est un ceinture bleu, c’est à dire un instructeur, ceux qui sont au dessus des ceintures vertes. Il est rémunéré, mais il y a quand même beaucoup de bénéfices pour l’association. Donc l’association, elle a ce business model. C’est aussi la raison pour laquelle elle n’a pas été reconnue d’intérêt général, parce qu’elle a une activité qui est considérée comme commerciale et lucrative. Et surtout, elle est dans le domaine concurrentiel. Elle concurrence des gens qui font la même chose. En l’occurrence, elle concurrence ses propres membres, qu’ils ne lui en veulent pas parce qu’ils savent que c’est important pour le projet, que l’association gagne de l’argent. Mais c’est une réalité. Et donc, par rapport à ça, le fisc dit : « si vous concurrencez des entreprises privées, il n’y a pas de raison que vous soyez exonérés de TVA et d’impôts sur les sociétés ».

JLB :

Donc, il y a un million aujourd’hui quasiment de personnes qui ont été fresquées, mais il y a aussi une stratégie internationale qui est en train de se déployer avec la fresque qui est traduite, si je ne me trompe pas, dans 25 langues.

CR :

Tes chiffres sont un peu périmés. Je les ai trouvés sur le site de la fresque.

JLB :

Désolé, c’est nous qui ne sommes pas à jour. Moi, j’ai entendu dire 45 langues en comptant toutes les déclinaisons d’une même langue aussi. Est ce qu’il.

CR :

Y a des initiatives équivalentes au delà de ça ? C’est une question que je me suis posée, c’est à dire : est-ce que la Fresque est un dispositif vraiment original dans sa façon un peu de sensibiliser aux enjeux climatiques ? Et est ce que vous avez affronté quelque part une concurrence ?

Non, jusqu’ici, on n’a rien identifié qui puisse ressembler à ça. À la fois dans l’outil lui même et dans le mode de diffusion. Parce que si ça existait quelque part dans le monde, ce serait soit c’est tout récent et on n’a pas encore connaissance, soit ça existe depuis longtemps, et à l’heure qu’il est, on devrait le connaître puisqu’on a un déploiement qui est très exponentiel. Donc la dynamique du jeu, moi, je ne connais pas grand chose qui ressemble de près. De loin, oui, mais de près, non. Et le mode de diffusion, j’ai aussi un peu l’impression que c’est quelque chose d’original. Moi, je me suis inspiré un peu du monde du logiciel libre, mais en l’appliquant à quelque chose qui n’a pas grand chose à voir. Et par contre, c’est vrai qu’après, ça a inspiré d’autres personnes. Donc ceux qui ont créé des fresques sur d’autres sujets ou d’autres ateliers se sont inspirés un petit peu de ce mode de diffusion à large échelle.

JLB :

C’est la question q que j’allais te poser, puisqu’il y a beaucoup de fresques dites « amis » qui d’ailleurs sont référencées sur l’un des Wikis de l’association, donc on peut voir. Est ce que tu les as essayées toutes ? Je ne pense pas parce qu’il y en a quand même beaucoup.

CR :

Toutes, je ne risque pas, sinon, j’en ferai une par semaine. Voilà, c’est ça. J’en ai essayé quelques unes, mais il y en a qui…

JLB :

Quelles sont celles qui marchent le mieux à tes yeux et qui aident vraiment, par exemple, à s’approprier les enjeux de biodiversité ? Est ce que tu en as repéré d’autres qui sont à tes yeux pédagogiquement abouties ?

CR :

Du coup, je vais faire une liste qui est malheureusement pas du tout exhaustive et qui est juste basée sur les ateliers que moi, j’ai pu croiser. Dans les toutes premières qui ont été créées, il y a la fresque océane, la fresque de la biodiversité, la fresque du numérique qui marche bien, qui fonctionne bien. J’ai eu l’occasion de jouer à la fresque des déchets également, qui est très bien. J’ai vu un projet qui s’appelle la fresque de la justice, sur le fonctionnement de la justice dans notre pays. Je trouve que c’est un sujet hyper intéressant. C’est un atelier qui est en cours de conception. Je pense encore du travail dessus, mais je pense qu’il y a un très, très gros potentiel là dessus. Je te cite juste quelques exemples comme ça et pas forcément les plus répandus. J’en oublie. J’ai aussi testé la fresque des Nouveaux Récits.

JLB :

Des limites planétaires ?

CR :

Celle là, je l’ai aperçue tout à l’heure, mais je ne l’ai pas encore jouée. Ce que je peux dire sur ces ateliers, c’est que je ne peux rien en dire. C’est que je ne les ai pas testés. Moi, je n’ai pas d’avis dessus.

JLB :

Et ces fresques amies n’ont pas à reverser d’écot à la fresque du climat ?

CR :

Non, parce qu’ils se sont juste inspirés d’un principe pédagogique. On ne peut pas déposer le fait de mettre des gens autour d’une table de leur donner des cartes et leur dire de les disposer sur une table. C’est un peu comme si le Trivial Pursuit essayait de déposer la notion de QCM. Heureusement qu’ils ne peuvent pas le faire. Donc ils ont déposé leurs petits camemberts, des trucs comme ça. Donc le concept lui même de se dire « On fait un outil collaboratif avec une partie où on pose des cartes, puis une partie où on discute. » C’est trop abstrait, trop général pour le déposer. Et puis, même si c’était déposable, j’ai pas envie de le déposer. Que si ça inspire d’autres personnes, tant mieux. Donc, il y a pas de déboulement, il y a aucun dividende. Il n’y a rien à reverser. On n’a pas vocation à mettre un tampon sur… En tout cas, on n’a pas encore commencé à le faire sur des fresques pour dire qu’elles valent quelque chose. Donc le fait que quelque chose s’appelle « fresque » de quelque chose ne veut rien dire. Ça peut être un atelier qui est très bien, ça peut être un atelier qui est pas bien.

Nous, on n’a pas d’avis dessus. On envisage d’avoir une notion, comme tu dis, de « fresque ami » qui sont identifiés. Les critères qu’on envisage dans ces cas là, c’est que le business model soit d’intérêt général, comme celui de même si on n’est pas considéré d’intérêt général, on considère que le projet, il l’est en tout cas. Et donc un business model qui est vertueux, c’est à dire qu’il ne va pas enrichir des personnes physiques. Que l’outil soit également robuste sur le plan scientifique, ça fera partie des critères qu’on aura. Certainement d’autres à imaginer et donc on va faire rentrer dans une catégorie qu’on appellera peut être justement les fresques amies un certain nombre d’ateliers, mais on n’a pas vraiment encore pris à bras le corps ce projet là. Et par exemple, ça pourra permettre de mettre certains de ces ateliers dans le parcours du fresqueur ; les animateurs de la fresque qui sont invités à suivre un parcours. Ils démarrent en étant ceinture blanche, puis jaune, orange, etc. Et sur le parcours, ils vont apprendre des choses. On a prévu un MOOC à chaque niveau pour qu’ils puissent enrichir leurs connaissances. Et sur ce parcours, on envisage de mettre certaines fresques en disant « Là, ce serait important de…» Je vais devoir en citer quelques unes parce qu’elles coulent un peu de source. « Ce serait important d’avoir fait la fresque de la biodiversité parce qu’il y a souvent des questions dessus, d’avoir fait la fresque du numérique » Là aussi, il y a souvent des sujets sur le numérique dans les animations. Ça, c’est quelque chose qui pourrait être fait.

JLB :

J’aimerais qu’on parle maintenant un petit peu d’écoanxiété. Pour les journalistes qui se sont formés, qui ont découvert la fresque du climat, qui ont ensuite été à la rencontre d’experts, qui ont découvert l’ampleur des problèmes et de l’urgence de la situation. De ton côté, est ce que, justement, le fait de fabriquer cette fresque en y intégrant cette dimension de débrief, ça a été une façon de dire qu’il faut accepter le fait que la gravité de la situation occasionne une forme d’écoanxiété, donc d’anxiété liée à la gravité de la situation. C’est un aspect très sérieux à prendre en compte dans notre compréhension de ce qui est en train de se jouer du point de vue planétaire.

CR :

C’est une très bonne question. Il y a beaucoup de débats autour de ça. Par rapport à un sujet qui est anxiogène comme celui là, c’est vrai qu’il peut y avoir plusieurs réactions. Il peut y avoir une réaction qui est : « On est tétanisé et puis on est paralysé, on n’arrive à rien faire, on bouge plus. » Il peut y avoir des réactions de : « Au contraire, on se mobilise, on réunit toutes nos forces et puis on se met à réagir. » Et les gens vont réagir de manière un peu différente. Je considère que je n’ai pas fini de me forger des certitudes là-dessus. J’ai entendu récemment une conférence d’Arthur Keller qui, sur ce sujet, nous dit : « En fait, il ne faut pas avoir peur de faire peur. » C’est un driver de mise en mouvement. Certes, on prend le risque que certaines personnes vont être tétanisées et vont plus bouger, mais ceux qu’on aura réussi à faire bouger, ils vont vraiment se mettre en action.

JLB :

Ce qui ressemble un peu à la méthode Jancovici.

CR :

Oui, c’est vrai. Il n’a pas peur de faire peur. Je pense qu’il y a de ça. La situation, elle est grave et le cacher, cacher aux gens que la situation est grave, n’est pas une solution. Parce que sinon, c’est sûr qu’il ne se passera rien. Donc après, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher à accompagner ces mauvaises nouvelles. Donc faire en sorte que les participants, quand ils ont compris tout ça, ils ne soient pas livrés à eux mêmes. Il faut pouvoir éventuellement leur reparler après. Ce qui nous tient à cœur à La Fresque, c’est que les gens repartent de l’atelier, quand il a été correctement animé, avec l’envie d’agir. Et c’est pour ça que la deuxième moitié de l’atelier sur le débat, qu’est ce qu’on peut faire, etc, il doit être animé d’une manière à ce qu’à la fin, les gens comprennent qu’ils ont des leviers dans les mains, ils peuvent faire quelque chose, qu’ils repartent pas désespérés en disant « On pourra rien faire, on va tous mourir, etc. » Donc, l’enjeu, il est vraiment là. Donc, je pense que oui, il faut faire peur. Il ne faut pas avoir peur de dire les choses, de dire la vérité et de la dire telle qu’elle est.

Mais il faut aussi très vite accompagner les participants dans ce qu’ils peuvent ressentir autour de ça et qui repartent en se disant qu’il y a moyen d’agir et on a des leviers.

JLB :

Dans une analogie, ce qui est intéressant, c’est qu’en journalisme, dans un média, si on fait une espèce de pornographie du désastre, on va dire « Voilà, est ce que c’est suffisant pour sensibiliser les gens au fait qu’il est possible politiquement de traiter cet enjeu qui, certes, est très grave, mais pour lesquels on a des leviers d’action ? » C’est à dire que rester tétanisé devant la catastrophe ne suffit pas pour avancer. Est ce que tu as l’impression aujourd’hui que les médias ont, en 2023, commencé à bouger, évoluer dans leurs offres et dans leurs promesses éditoriales, dans leurs capacités à la fois à expliquer la gravité de la situation et en même temps à commencer à vraiment clarifier les lignes de clivage et les difficultés devant lesquelles on se trouve et les arbitrages sur lesquels il. va falloir travailler collectivement. Dans les médias comme dans la société, on est au tout début de la prise de conscience, de la montée en compétence. Donc non, on n’est pas encore au bon niveau. 

JLB :

Est ce qu’un média, par exemple, qui te vient à l’esprit, qui, à tes yeux, se distingue dans sa capacité aujourd’hui à être très clair dans le constat scientifique et ensuite les enjeux politiques ou géopolitiques que ça pose ?

CR :

Non, je ne suis pas assez consommateur des médias pour pouvoir avoir un avis là dessus. Je ne vais pas donner de nom.

JLB :

Faisons le à l’envers. Qu’est ce que tu attendrais et qu’est ce qu’il faudrait, en tant que média, proposer pour accompagner utilement aujourd’hui le public, les citoyens plutôt que le public d’ailleurs, les citoyens devant la transition climatique à l’horizon ?

CR :

Question difficile. Non, c’est une très bonne question parce que du coup, voyons un peu le plan d’action. J’allais commencer à te répondre en te disant « Le média, je ne sais pas, mais les journalistes, je sais quoi leur proposer. » Moi, j’ai eu la chance d’une certaine façon de passer six ans de ma vie à diriger un think tank qui bosse sur les questions de transition énergétique. Le Shift Project. Le Shift Project. Et donc pendant six ans, j’ai non seulement… Alors déjà, avant ça, j’avais pris connaissance du problème du changement climatique en lisant les rapports du GIEC. Je m’étais tapé tous les résumés techniques. J’ai une bonne compréhension du sujet. Après, une fois que tu as compris l’enjeu climatique, tu te dis : « Il faut décarboner l’économie et donc c’est plus facile à dire qu’à faire. Tu rentres dans un groupe de travail sur, par exemple, la rénovation thermique du bâtiment et puis tu te dis « Il y a qu’à rénover les maisons. Mais en fait, ce n’est pas toujours facile parce que ce que propriétaire, locataire, machin, isolation par l’intérieur, à l’extérieur, tu rentres dans le sujet. Là, tu rends compte que c’est beaucoup plus compliqué que ce que tu pensais.

Et tu identifies les blocages. Et pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a des blocages qu’il faut s’arrêter là. Donc il faut aller voir là où ça frotte et puis aller débloquer ce qui est bloqué. Et donc, tu as la claque qu’on se prend dans la figure quand on comprend l’enjeu climatique, on se prend d’autres claques plus tard. Déjà, tu as celle qui consiste à te rendre compte qu’autour de toi, il y a encore très peu de monde qui est conscient. Ça aussi, c’est une nouvelle claque. Tu as pris conscience du sujet, tu t’es mis à travailler là dessus, tu t’es entouré de gens qui connaissent et puis, au bout d’un moment, tu as l’impression que tout le monde a compris parce que tes amis sont devenus ceux qui pensent comme toi. Et puis, quand tu sors de ce cercle un peu de ta petite bulle de gens qui pensent pareil, tu vas à l’extérieur et tu te retrouves avec des gens qui n’ont pas du tout compris. Et là, tu te prends à nouveau une claque qui est à mince. En fait, il y en a encore plein qui n’ont pas compris.

JLB :

Et enfin, il y en a 1 million de personnes fresquées, c’est 67 millions de Français qui ne sont pas encore fresqués.

CR :

Oui, ça ne veut pas dire qu’ils n’ont rien compris au sujet, mais en effet, ils n’ont pas fait la fresque et ils n’ont pas tous eu l’occasion de comprendre l’enjeu. Et alors après, les claques suivantes que tu te prends, c’est quand tu commences à mettre les mains dans le cambouis de cette transition et tu te dis : « Mais ce n’est pas dur, il faut décarboner. » Premier réflexe « On va faire des énergies renouvelables et puis c’est réglé. » Et puis après, tu regardes les chiffres et tu calcules combien il faudrait d’éoliennes, de panneaux solaires en France. « Ah ouais, il y a pas assez de minerais pour les faire. » Et là, tu te dis « Waouh, c’est plus compliqué que ce que je pensais. » Et donc tu arrives sur le sujet suivant « OK, décarboner l’économie, décarboner l’énergie, certes, mais en fait, il faut aussi consommer moins d’énergie. Donc tu passes sur d’autres sujets, efficacité énergétique, etc. Et en fait, tu as tout un cheminement comme ça qui t’amène progressivement d’un sujet à l’autre. Le premier, c’est de se dire « Voilà, on décarbone l’énergie, c’est facile. » Puis après « Non, ce n’est pas si facile, donc ça ne va pas suffire et il faut baisser la conso d’énergie.» Pour baisser la conso d’énergie, on peut faire de l’efficacité énergétique, mais là aussi, vu qu’on a gagné 1 à 2% par an depuis plusieurs décennies, il n’y a pas de raison que demain on se mette à faire 5 à 10% du jour au lendemain. Donc, tu te dis « Ça veut dire qu’il faudrait globalement consommer moins. Il faudrait faire de la décroissance. Et puis, il y a des croissances, tu te rends compte que les gens ne sont pas du tout prêts. Donc après, tu vas chercher quand même à creuser un peu plus. Mais attends, quand même, sans parler de décroissance, est ce qu’il n’y a pas moyen quand même d’assouvir les besoins de l’humanité avec moins d’énergie, avec même moins de points de production. Et là, tu te dis « Oui, il y a quand même des leviers », parce que, par exemple, si tu augmentes la durée de vie des objets, tu as besoin d’en produire moins. Si tu partages les objets à plusieurs, tu as besoin d’en produire moins. Donc, tu sens qu’il commence à y avoir des pistes pour faire pareil avec moins ou faire mieux même avec moins, et que ces solutions ne sont pas du tout là où tu cherchais au début.

Donc, tu as tout un cheminement à faire comme ça pour être sur les bons types de solutions. Mais ce cheminement, moi, il m’a pris des années. Et là, aujourd’hui, il va falloir que d’autres personnes les fassent en quelques semaines. Et je ne sais pas très bien comment faire. Je suis désolé parce que je ne vais pas répondre complètement à ta question. Qu’est ce qu’il faudrait faire pour qu’un média traite correctement le sujet ? Premier point, il faut que les journalistes eux mêmes décident de se former plus ou moins… D’aller plus ou moins loin dans la formation, mais se former sur ces enjeux. Par exemple, en apprenant à faire, en faisant la formation au bilan carbone, même s’ils vont jamais faire de bilan carbone de leur vie, peu importe. La formation au bilan carbone, c’est une base qui permet de comprendre pas mal de choses et d’avoir des ordres de grandeur, notamment. Et ensuite qu’eux mêmes, ils fassent gaffe à l’effet Dunning-Kruger, c’est à dire qu’une fois que tout ça est devenu des évidences pour eux, qu’ils se rappellent qu’en face, les lecteurs, les téléspectateurs, tout ce que tu veux, eux n’ont pas fait ce cheminement et il faut reprendre les choses au début pour…

JLB :

Donc ce que tu dis, c’est qu’au fond, il faut mettre le paquet sur la formation. Il faut se sensibiliser, se former, comprendre les chaînes de cause à conséquence et ensuite toutes les ramifications qui font que politiquement, c’est un problème complexe à traiter. Mais même si on a fait tout ce parcours et qu’on a compris tout ça au terme de ce chemin d’apprentissage, il faut réussir à revenir au tout début et accompagner le public pour l’aider à refaire lui même ce chemin.

CR :

Exactement. En fait, pour le résumer, les journalistes doivent non seulement monter en compétence, mais devenir également pédagogues eux mêmes, c’est à dire être capables de reprendre le sujet au début, dès le début, alors la bonne nouvelle, c’est que quand tu sais quelque chose depuis peu de temps, t’es plus à même que d’autres de te mettre dans les chaussures de celui qui sait pas, parce que toi, il y a quelques semaines, tu savais pas. 

JLB :

Tu sais quels sont les points nodaux de la montée en compétence.

CR :

Exactement. Le meilleur pédagogue, c’est celui qui sait les choses depuis peu de temps, parce qu’il va savoir les exprimer avec les bons mots pour les expliquer à celui qui n’a pas encore compris. Ça, c’est la bonne nouvelle. C’est ça, c’est que les journalistes vont devoir à la fois monter en compétence et apprendre l’art de la pédagogie pour réapprendre depuis la base à leurs lecteurs qui, eux, sont pour la majeure partie au tout début. C’est ça l’enjeu.

JLB :

Avant d’ouvrir la parole au public, je vais juste relayer aussi une question qui nous a été envoyée par une journaliste indépendante qui est aussi formatrice pour Samsa, qui est aussi animatrice et formatrice agréée de La Fresque du climat (niveau ceinture verte). Elle s’appelle Catherine Cattin. On l’écoute.

Catherine Cattin :

Bonjour Cédric. J’ai récemment animé une fresque du climat chez France et puis face à cette fresque, à la fin, il y a eu une discussion sur comment intégrer la transversalité des enjeux climatiques dans le traitement quotidien de l’information. Parce que l’information, elle est traitée par rubrique. Et donc la question que j’aimerais te poser, c’est comment faire pour sortir de ce fonctionnement en silo de l’information ? 

CR :

Je suis complètement d’accord avec le diagnostic, mais je n’ai malheureusement pas la solution parce que là, c’est justement aux médias de faire ce travail, de dé-siloter d’une certaine façon. Non, ce que je peux conseiller, c’est de former tout le monde. Il ne faut pas se dire qu’il y a des journalistes spécialisés environnement ou des journalistes scientifiques qui vont prendre le sujet du climat, et puis ils vont être les seuls à le traiter. Non, pas du tout. Il faut bien former tout le monde. Je dirais pas que presque en premier lieu les journalistes économiques. Ceux qui vont traiter de l’économie sont les premiers à devoir se former sur ces sujets là, j’ai envie de dire, mais également le politique. Tous les domaines. Il n’y a pas vraiment un seul domaine qui est qui échappe.

JLB :

À ce sujet. Dernière question ou plutôt c’est un questionnaire final qu’on propose à nos invités à la fin de chaque épisode, qu’on appelle un peu « Et si… »

Si tu avais 20 ans en 2023, quel métier choisirais tu ? Est ce que ce serait journaliste ?

CR :

Si j’avais 20 ans en 2023, moi, quand j’ai fait mes études, j’étais bon en maths. On m’a dit de faire une prépa et une école d’ingé. Et puis, comme j’aimais bien inventer des choses, je me suis dit « Ingénieurs, ça correspondait bien. J’avais un peu l’idée « Géo trouve tout. Donc si aujourd’hui, en 2023 à 20 ans, j’étais un peu le même qu’à l’époque, je m’engouffrerais très probablement à nouveau dans une carrière scientifique. Mais par contre pas forcément technosolutionniste. Par contre, faire une formation scientifique et devenir journaliste, ça devrait être un choix de carrière hyper naturel. On devrait avoir dans les écoles d’ingé une option, je pense, de journaliste. C’est à dire que tu fais ton école d’ingé, t’apprends la mécanique, les maths, la physique, etc. Et puis, t’as une option qui consiste à devenir journaliste, évidemment, journaliste scientifique, du coup, dans une école d’ingénieurs. Et idem, dans n’importe quelle autre discipline, il devrait y avoir une option pour devenir journaliste dans ce domaine là.

JLB :

Si tu devais citer un film, une série ou un livre qui était le plus marqué sur la question écologique ?

CR :

Il y en a beaucoup. J’aime bien citer celui de Tim Jackson, qui est ce qui s’appelle Prospérité sans croissance. Il met le doigt sur un des grands sujets qui est cette sempiternelle croissance économique que l’on appelle de nos vœux. Est ce que c’est si désirable que ça ? Est ce que c’est vraiment le bon indicateur, surtout de regarder systématiquement l’augmentation du PIB ? Je pense que si on se concentre dans son titre « Prospérité sans croissance », le premier mot, c’est « Prospérité ». Il faut qu’on vise la prospérité. Il faut qu’on maintienne en vie aujourd’hui 8 milliards d’humains et puis bientôt peut être 11 milliards d’humains, que tous ces humains puissent vivre décemment et qu’ils aient accès à une forme de prospérité, ce qui ne veut pas dire une croissance économique. Une prospérité, ça veut dire que tu disposes de tout ce dont tu as besoin pour te loger, te vêtir, te nourrir, etc. Et ça peut être relativement décorrélé du PIB. Il faut arriver à sortir de ce dogme du PIB et de se dire « En fait, on s’est habitué à ce que le PIB, ce soit l’indicateur de la prospérité. En fait, non, ce n’est pas un bon indicateur. » Donc, ce bouquin, il est vraiment top pour ça. Tim Jackson, Prospérité sans croissance.

JLB :

Et si tu devais nommer une personnalité pour son rôle dans la prise de conscience écologique ?

CR :

Je pense que je vais re-citer Jean-Marc Jancovici, parce qu’en fait, c’est quelqu’un qui, depuis les années 2000, fait inlassablement des conférences sur le sujet. Il a inventé la méthode bilan carbone pour l’ADEME en France. Certes, on a la Fresque du climat, mais on a aussi, Pour un réveil écologique, on a un syndicat qui s’appelle Printemps écologique, on a une association qui s’appelle Avenir climatique qui a plus de dix ans. Il y a eu la CCC, la Convention des Citoyens pour le Climat, convention, oui, c’est ça, qui a inspiré elle même la CEC, la Convention des entreprises pour le Climat. Il y a vraiment tout un écosystème extrêmement dynamique sur les questions d’environnement et de climat. Et on ne retrouve pas l’équivalent dans les autres pays. Moi, de ce que je comprends en discutant avec les référents de la fresque dans d’autres pays ou des gens qui vivent à l’étranger, ils ne connaissent pas l’équivalent. Il n’y a pas autant de projets qu’en France. Et en y réfléchissant, je pense qu’il y a une personne à qui on doit ça, c’est que c’est c’est que ce monsieur, qui depuis 2000 fait inlassablement des conférences à Tour de bras, il a inspiré des gens comme moi qui ensuite ont fait leurs projets et qui, par voie de conséquence, il a inspiré tellement de gens que d’autres projets se sont lancés et ont vu le jour.

Donc voilà, je crois que sa persévérance à porter ces sujets sur la place publique finissent par porter ses fruits. Et on lui doit beaucoup.

JLB :

Cet épisode est enregistré dans le cadre du premier Podcasthon, qui est un événement librement inspiré, par exemple, du Téléthon ou du Z Event, en conservant bien sûr les codes du podcast dans le but de promouvoir, je le disais au début, les valeurs d’altruisme et de solidarité. Comment en 2023, on peut aider, par exemple, la Fresque du climat ?

CR :

Tout simplement en allant faire une Fresque. Si vous n’avez pas déjà fait un atelier, faites un atelier. Si vous avez fait un atelier, formez vous à l’animation de la Fresque. Si vous êtes dans une entreprise, poussez pour que la Fresque soit déployée dans toute l’entreprise. C’est vraiment comme ça qu’il y a moyen d’aider l’association. Est ce qu’il.

JLB :

Y a des questions dans la salle pour Cédric Ringenbach.

PhC :

« Bonjour Cédric. Merci pour avoir partagé tout ça. J’ai cru comprendre qu’il y avait un implicite dans toute cette histoire de la fresque et de l’histoire du million maintenant, c’est qu’ à un certain point, il y a ce qu’ en anglais on appelle le tipping point, un point d’inflexion. Est ce que vous croyez à cette théorie qui est parfois discutée et contestée que quand on atteint un certain nombre un pourcentage de personnes concernées ou éduquées sur un problème, on arrive à faire changer l’ensemble de la société, même si le reste des personnes ne sont pas encore ou pas déjà conscientisées sur ce point ? »

CR :

Oui, je pense que globalement, l’idée du tipping point, ça me parle. Je pense qu’ en ce moment, on est en train de vivre une accélération. Vous même, vous avez témoigné de votre propre travail d’aller former le monde des médias à ces enjeux là et que vous avez une bien meilleure écoute aujourd’hui que ne serait ce qu’il y a un an. Donc on sent vraiment une accélération dans la prise de conscience. Et puis je pense qu’en fait, on est sur un système, ce qu’on appelle le système, sans vouloir faire dans l’ambiance conspirationniste, personne n’est l’architecte de ce système. Il n’a pas été conçu par des entités machiavéliques qui voulaient mettre en place quelque chose pour préserver des intérêts économiques. Il s’est mis en place tout seul parce qu’il y a des gens qui ont un boulot, puis il y a des entreprises, il y a des intérêts, etc. Mais chacun fait ce qu’il pense être le mieux pour soi et pour les autres dans un système qui est en place. Donc on construit le système sur le système. On met des briques les unes sur les autres et à l’arrivée, on a quelque chose qui se tient et qui a une forme de rigidité.

Et quand on essaye de démonter un petit peu ce système, on n’y arrive pas parce que, justement, comme il s’est construit sur lui même, on enlève une brique, ça en fait tomber plein d’autres et donc c’est très dangereux. On n’ose pas toucher au système parce que sinon il s’effondre. Et donc, quand on veut faire la transition, on essaye de bouger des choses et on n’y arrive pas parce qu’elles sont coincées par d’autres choses qui sont déjà en place. Et là, on se dit « Si je tire là dessus, du coup, il faut décoincer ça avant. Mais avant de décoincer ça, il faut aussi décoincer ça, ça et ça. » Et du coup, on ne s’en sort pas. Et ce que je crois, c’est qu’en ce moment, il y a des gens qui sont en train, chacun à leur niveau, de décoincer un truc. Et donc ils n’y arrivent pas parce que c’est coincé par d’autres trucs. Mais ce qu’il faut, c’est pas lâcher l’affaire et puis se dire « Moi, je persiste, je veux décoincer ce truc et je vais y arriver coûte que coûte et je vais rien lâcher. Je vais embêter tout le monde jusqu’à ce que j’y arrive.

» Et puis, la bonne nouvelle, c’est que le jour où j’y arrive, il y en a dix autres derrière qui attendaient que ça, que je débloque ce truc là, parce que même, ça les bloquait pour déverrouiller leur propre truc. Et on est là dedans, en fait, je pense. C’est à dire qu’il va y avoir une forme de déverrouillage de plein de choses, de trucs qui étaient des blocages, surtout psychologiques, des lois à changer, des changements de comportement, des freins surtout dans la tête des gens aussi. Et ça va se décoincer en cascade, en chaîne. C’est à dire que telle avancée dans tel domaine va permettre une avancée dans un autre domaine et de décoincer des choses comme ça les unes après les autres. Donc, ce n’est peut être pas exactement la façon dont on formule le notion de tipping point, mais c’est avec mes mots, je crois à ça et je crois qu’en ce moment, on est vraiment dans une forme d’accélération des déverrouillages en chaîne et on est au tout début, par contre, il faut être conscient qu’il y a encore énormément de travail devant nous. On est au tout début, mais je sens cette accélération et j’ai assez confiance dans le fait qu’ avec un nombre de personnes de plus en plus nombreux qui vont être conscients du sujet, ça va pouvoir aller de plus en plus vite.

JLB :

Merci Cédric Ringenbach d’avoir accepté de venir participer à cette conversation publique. C’était donc Les médias se mettent au vert, une conversation publique où l’on discute de la bascule écologique des journalistes et des médias. Un podcast coproduit par Samsa.fr qui accompagne les professionnels de l’information dans leur transformation numérique et leur transition climat, et par Creatis, qui accompagne les entrepreneurs engagés dans les médias et la culture partout en France et qui nous a accueillis ici à Paris.

Si vous avez des questions, des suggestions, écrivez-nous : lesmé[email protected]

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