Qu’elle soit perçue comme un nouvel eldorado ou comme une malédiction, l’intelligence artificielle suscite beaucoup de fantasmes. De la médecine à la finance, son usage se développe dans de nombreuses sphères de la société et le journalisme ne fait pas exception à la règle. Charlie Beckett, professeur à la London School of Economics, se penche sur les impacts de l’IA dans les médias depuis plusieurs années. Il sera l’un des invités de l’anniversaire de Samsa.fr lundi 9 décembre à Paris (inscription obligatoire).
Nous avons décidé de vous résumer en français le dernier rapport de Charlie Beckett, directeur du think tank POLIS de la London School of Economics. Il présente une étude sur les usages de l’intelligence artificielle (IA) dans les rédactions. Basée sur des questionnaires auxquels 71 rédactions de 32 pays ont répondu, cette vaste étude dresse un état des lieux complet des les perspectives de l’IA pour les journalistes.
L’Intelligence artificielle, pas si intelligente
Qu’entend-on par intelligence artificielle? Le terme serait fourre-tout, et l’IA n’aurait rien d’intelligent (pour l’instant). Par IA dans le journalisme, comprenez plutôt un ensemble d’idées, de pratiques et de technologies en lien avec la capacité d’un ordinateur à effectuer des tâches et à en tirer des conclusions d’après une certaine quantité d’information.
Ces techniques comprennent le machine learning, les algorithmes, l’analyse de données et l’automatisation, procédés entièrement conçus et imaginés par des humains (et tout aussi imparfaits qu’eux, bien que plus rapides et performants, mais on y reviendra).
L’IA sous forme d’outils: quels usages?
En termes d’applications concrètes, l’IA permet d’automatiser et d’optimiser tout un éventail de tâches au sein d’une rédaction: veille, décisions éditoriales, rédaction, distribution. Les applications sont multiples, mais le but reste le même: cibler la bonne audience avec le bon contenu et au bon moment. Parmi les exemples les plus admirés d’après les sondés, on trouve:
- Cyborg, de Bloomberg: publie des articles en quelques secondes sur les rapports financiers des entreprises
- RADAR, de l’Associated Press: écrit des articles locaux en masse (50 000 articles en 3 mois)
- Feels, du New York Times: comprend et prédit l’impact émotionnel des articles du Times pour adapter le contenu publicitaire
- Dynamic Paywall, du Wall Street Journal: propose différentes options d’abonnement à chaque lecteur selon son comportement
- Toutiao de ByteDance: une appli mobile chinoise qui source et trie du contenu personnalisé en partenariat avec 4 000 sites
- Texty: un modèle de machine learning ayant aidé une investigation sur les mines d’ambre illégales en Ukraine
L’IA dans le journalisme: quels scénarios?
L’IA séduit par son potentiel, et certains journalistes souffrent d’un sacré FOMO («Fear of missing out»), de peur de rater le coche et de se laisser dépasser par la concurrence. Pourtant dans les salles de rédaction, l’IA est aussi parfois incomprise – elle pourrait concurrencer les journalistes (automatisation de certaines tâches et aide aux décisions éditoriales) – et opaque (et pleine de biais algorithmiques), et potentiellement la source de nombreux maux d’Internet (fake news, bulles de filtre, etc).
D’après le rapport de Charlie Beckett, l’IA constitue surtout une opportunité pour propulser le meilleur du journalisme: avoir un impact sur la société, une meilleure connaissance du public, et plus de place pour la créativité.
Libéré·e·s d’une partie de leur charge de travail, les journalistes pourraient produire de meilleurs contenus, rapidement adaptés et distribués sur un grand nombre de plateformes, et ainsi délivrés à un public d’autant plus engagé qu’il est mieux segmenté. Ce gain de temps, de compétitivité et d’efficacité assurerait alors une meilleure santé financière et un regain de confiance du public dans les rédactions qui osent sauter le pas. Dans un contexte de crise, cela ne se refuse pas.
Save the date ! #Samsa9ans
Charlie Beckett sera présent à l’anniversaire de Samsa.fr le 9 décembre. Programme complet et lien pour s’inscrire ici :
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IA dans les médias: quelles limites?
L’IA demande de nombreux investissements et sa mise en place n’est pas simple, ce qui fait craindre que le fossé des inégalités entre petites et grandes rédactions se creuse davantage. L’usage de l’IA est coûteux à plusieurs niveaux: son développement nécessite de nombreuses ressources comme des employés qualifiés, et un investissement en temps et en main d’oeuvre, voire un recours aux services d’entreprises externes.
S’il est certain que l’IA ne remplacera pas les journalistes, sa mise en place dans les rédactions peut être compliquée. Elle peut déclencher un clash de cultures entre les employés aux profils technique et journalistique. Ensuite, elle nécessite un bon management et des workflows définis. L’usage de l’IA ne peut se limiter à un seul service au sein de la rédaction, touchant de nombreuses fonctions différentes. Automatiser des tâches de routine nécessite de bien les délimiter afin d’éviter d’inscrire des erreurs ou des biais dans le processus, qui seraient ensuite invisibilisés par l’automatisation.
Journalistes et IA: transparence, stratégie, et compétences
Tout comme pour l’usage des analytics, il n’existe pas d’approche universelle. Chaque rédaction devrait au préalable définir une stratégie qui lui est propre, selon ses besoins et ses capacités. Ensuite, ces technologies se doivent d’être intelligibles aux journalistes, même si, dans ce cas, deux points de vue semblent s’opposer: doit-on former les journalistes à la technologie, ou doit-on se servir d’outils pré-établis et simples d’usage?
La première approche demande beaucoup de ressources, mais semble attirer la curiosité des journalistes. La seconde semble plus accessible, mais pose la question de la dépendance à d’autres entreprises, comme les plateformes, dont les valeurs sont hors du champ journalistique, et qui sont très critiquées pour leur manque de transparence. Et dans le journalisme comme dans d’autres secteurs, la transparence semble bien être la clé, non seulement de l’efficacité de l’IA, mais surtout des retombées positives et éthiques sur la société.
Et le futur dans tout ça?
Si son usage n’est pas encore tout à fait démocratisé, il est certain que l’IA dans le journalisme est loin d’avoir dit son dernier mot. Alors que le journalisme subit des mutations profondes, l’IA offre des possibilités (ou des contraintes) de collaboration avec une multitude d’acteurs, interne ou externe au journalisme. Ni panacée, ni désastre, l’IA sous toutes ses formes s’imbrique peu à peu dans les rédactions. À leur tour de s’en saisir?
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