L’Echo a publié, le 10 novembre 2019, un « fictuel ». Ou un « factif » : le nom n’est pas tout à fait arrêté. Un article d’un genre inédit, une mise en scène originale : un dialogue entre Laurence et Olivier, une sœur et un frère. Deux quadras. Lui est au bord du burn-out. Ils se parlent. Si le dialogue est fictif, tout le reste est factuel. Nicolas Becquet est responsable du développement & de la transformation numérique à L’Echo. Il nous explique comment est né ce projet, comment il a été orchestré, et le succès qu’il a rencontré.
“Tu es en train de t’épuiser, tu t’en rends compte?” Comme Olivier, un salarié sur cinq est en risque d’épuisement. Et vous?https://t.co/xhf6AVHYd9#burnout #HR pic.twitter.com/VV4gBUoTv0
— L'Echo (@lecho) November 10, 2019
Comment est né le projet « Ça va toi ? T’as l’air crevé. » ?
Nicolas Becquet : Paul Gérard est journaliste à L’Echo, spécialiste du secteur bancaire. Il est en contact avec Bright Link, une entreprise issue de l’Université Catholique de Louvain spécialisée dans la prévention du burn-out. Bright Link a mis au point le Preventing Burnout Test. Ce test, destiné aux entreprises, est un questionnaire fouillé autour de plus de vingt facteurs qui conduisent au burn out. L’entreprise a compilé les réponses de 5 000 salariés dans un rapport : « L’observatoire de l’épuisement ». Et il apparaît que 18% des salariés belges sont en risque d’épuisement. Paul Gérard, donc, est venu me voir en me disant : « J’ai ça, est-ce qu’on n’en ferait pas quelque chose?«
En quoi le sujet du burn out vous a interpellé ?
Nicolas Becquet : Je prends le tram tous les jours. J’entends les discussions des gens : beaucoup se plaignent de leur travail. Ils sont engagés, ils prennent le temps d’en discuter. C’est important. L’idée de traiter cette information sous la forme d’un dialogue vient de ces discussions entendues dans les transports en commun. Cette idée me rend enthousiaste : c’est une voie inédite que nous allons explorer. A ce dialogue, je veux ajouter du journalisme visuel, c’est une autre expérimentation qui me tente, cela me semble plus pertinent qu’écrire un long texte.
Quels moyens mettez-vous en oeuvre ?
Nicolas Becquet : On a sous la main un développeur qui aime expérimenter. Et une illustratrice spécialiste de la vidéo animée. C’est l’équipe parfaite. Au final, il y aura sept jours de développement, sept jours d’illustration, et 2 jours de scénarisation et d’écriture, pour Paul Gérard et moi, soit 4 jours/homme.
Techniquement, il n’y a pas de choses très complexes. Nous avons d’abord travaillé pour le mobile. Nous savions qu’un contenu à potentialité virale serait principalement lu sur mobile… La principale difficulté, c’est le nombre de modèles, de systèmes d’exploitation, de navigateurs. Pour le reste, c’est de l’intégration. On a là du HTML, du CSS, du Javascript et des GIFs.
Le gros du travail, c’est la narration. Je ne voulais pas un simple format illustré : on peut ne lire que les dialogues, aller plus loin avec les chiffres. Au total il y a 8 000 signes de texte. Et on a fait attention à ne pas couper la lecture pour que l’internaute ait envie de continuer.
Des idées nous sont venues en cours de route, comme le petit téléphone qui gène la lecture. Pendant qu’on discutait avec Paul Gérard, on était sans cesse obligés de s’interrompre, à cause des notifications, des messages. Alors on s’est dit : ce téléphone, il faut l’inclure dans notre narration. C’est une illustration parfaite du sujet. Nous n’avons pas arrêté les aller-retours entre l’observation de la réalité et le rapport scientifique. L’ordre dans lequel les problèmes apparaissent est lié à l’ordre d’importance de ce qui ressort du rapport. C’est extrêmement documenté. Nous n’avons rien laissé au hasard. Même les prénoms des deux personnages sont choisis en fonction de ceux qui ont été les plus donnés sur cette tranche d’âge en Belgique. Ces petites choses sont très importantes pour approcher la réalité.
Et vous ne vous contentez pas de rendre compte, vous proposez à l’internaute de se tester après avoir lu votre production.
Nicolas Becquet : C’est une dimension servicielle qu’on travaille depuis plusieurs années à L’Echo. Nous avons conclu un accord avec Bright Link. Notre idée était d’aller plus loin qu’un constat lénifiant sur la situation. Le questionnaire de Bright Link était orienté pour les entreprises, dans une stratégie de ressources humaines. Il n’était pas très engageant, et assez long : il faut une bonne quinzaine de minutes pour répondre aux cent questions. Mais cela permet d’avoir un vrai bilan, personnalisé, qu’on peut télécharger. Après plusieurs allers-retours avec l’entreprise, on est arrivé à un format présentable, ergonomique. Au final, on a eu 8.247 questionnaires remplis complètement. C’est énorme.
Le projet va donc au-delà de la publication d’un format enrichi sur le web ?
Nicolas Becquet : Finalement, c’est un projet éditorial qui se déroule sur trois semaines. Le format multimédia est mis en ligne en même temps qu’un article dans le journal, avec une infographie. Puis, pendant 10 jours, le questionnaire est ouvert en ligne. Et ensuite, Bright Link fait une synthèse des résultats obtenus avec les questionnaires de la communauté de L’Echo. Nous nous servons des résultats pour un nouveau dossier, qui fait le point sur la question.
Le format multimédia nous a en outre permis de remettre en avant des articles déjà publiés autour du sujet, et nous avons produit un certain nombre de reportages complémentaires, sous des angles différents.
Comment avez-vous promu ce travail ?
Nicolas Becquet : Nous avons dès l’écriture pris en compte le référencement. Pas pour « tordre » notre façon d’écrire, mais pour nous approcher le plus possible des mots réellement utilisés par le public. Et puis nous avons eu recours aux posts sponsorisés sur Facebook, avec une campagne sur 10 jours pour promouvoir le contenu au-delà de nos frontières organiques. Nous avons défini une audience, autour des thématiques du stress et du développement personnel. Nous avons publié sur l’ensemble des réseaux sociaux, comme ici sur Instagram.
Et l’accueil a été bon ?
Nicolas Becquet : Tout à fait. Notre audience a dépassé les frontières de la Belgique, et il n’est pas si courant qu’un média ait ainsi une influence au-delà de son pays. L’événement éditorial a eu une audience considérable : 315 000 pages vues sur l’ensemble du dossier dont 55 000 sur le format « factif / fictiel ». Nous avons atteint une audience très large alors que L’Echo n’est pas un journal généraliste. 74% des consultations se sont faites sur mobile, notamment par l’intermédiaire du premier post Facebook.
Au final, le bilan est donc positif ?
Nicolas Becquet : Cela nous fait du bien de repenser notre manière de travailler, d’aller explorer des formats moins conventionnels que le texte + photo qui lasse peut-être par la répétition. Etre quatre, avec un journaliste qui avait envie, c’était chouette. Il a douté, j’ai douté. Cela fait partie de la transformation numérique. Mais, à chaque fois qu’un journaliste travaille sur un projet, il éprouve les enjeux de l’innovation. Cela nourrit la culture numérique de toute la rédaction.
Nicolas Becquet intervient aux Rencontres 2020 de la vidéo mobile et de l’innovation éditoriale, le 6 février 2020 à Paris, pour parler de la transformation de L’Echo et de la stratégie pour créer les conditions nécessaires à l’innovation éditoriale dans une rédaction. Retrouvez ici tous les formats multimédia de L’Echo.