Partie traverser l’Angleterre à vélo, Melody Locard (qui assure des formations chez Samsa.fr) a profité de ses vacances pour réaliser un reportage sur le Brexit, à hauteur d’homme et avec les moyens du bord, à savoir trois smartphones. La vidéo, publiée le 31 octobre, figure parmi les reportages les plus vus sur la chaîne YouTube de l’Obs, dont Melody Locard dirige le pôle visuel.
Dans quelles conditions s’est réalisé ce reportage?
Je suis partie sur mes vacances, la dernière quinzaine d’août. C’était un défi personnel. Depuis que je dirige le pôle visuel de l’Obs, je ne tourne plus beaucoup, à part sur de l’actu très chaude, comme des manifestations. A chaque fois que je réalise un sujet magazine, j’ai tendance à choisir un boitier numérique. Je ne me suis jamais autorisée de faire ce genre de reportage avec un smartphone. Aussi, j’avais envie de me confronter à cet exercice et de dépasser les limites de l’outil. Je voulais aussi montrer l’exemple, dans l’optique de développer à terme ce genre de reportages longs qui décryptent des phénomènes de société.
En quoi ce reportage est différent de ce que vous faites d’habitude à l’Obs?
Je voulais une écriture différente, qui se rapproche de celle des youtubeurs. J’aime le contact qu’ils arrivent à créer avec leur public. J’ai mis des petites touches du « ton YouTube » dans ce reportage. C’était nouveau et j’ai encore beaucoup de choses à améliorer. Certaines personnes me disent qu’elles auraient aimé avoir davantage la présence des journalistes dans l’image et qu’on exprime plus nos opinions. D’autres soulignent qu’on a trouvé la bonne dose d’incarnation. Les journalistes sont toujours réticents à se mettre en scène, pourtant ça peut servir l’information si on utilise la présence à bon escient.
Quel matériel avez-vous utilisé ?
Un Samsung Galaxy S8, un iPhone 8 et un iPhone10, plus un micro cravate iRig et un Gorilla pod. On avait déjà 20 kilos de bagages sur les vélos, il était hors de question de prendre plus encombrant ! Pour les interviews, on posait un smartphone sur le trépied en plan fixe large et on faisait les plans de coupe à la main. Dès le début du reportage, on annonce qu’on filme au smartphone et qu’on est à vélo. Tous les plans ne sont pas léchés, mais ça participe de ce format : ça renforce le sentiment de proximité, ça ajoute au côté accessible, ça montre l’état d’esprit dans lequel on était et ça éclaire la relation avec les personnages.
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A quel point avez-vous préparé ou au contraire improvisé ce reportage?
J’avais lu pas mal de choses sur le contexte socio-économique de la région des Cornouailles que l’on allait traverser pour comprendre les enjeux du territoire. J’avais en tête des profils que je voulais trouver : le pêcheur, par exemple, c’était incontournable. On avait fait de la place dans la mémoire du téléphone, mais on ne déchargeait rien, puisqu’on n’avait pas d’ordinateur. Il fallait donc savoir assez vite ce qui était pertinent pour ne pas stocker inutilement. Au final, on a interviewé quatre personnes, les quatre sont dans le sujet.
En quoi le vélo a été un avantage ?
Le vélo facilite des rencontres, il nous a permis d’attirer la sympathie des interlocuteurs. Comme on ait fait un effort pour venir vers les gens, ils nous ont plus accordé confiance et se sont livrés davantage. Si je repars sur un autre reportage, ce sera de nouveau à vélo.
Comment s’est passé le montage ?
J’ai eu cinq jours plein en montage, plus une journée d’écriture de commentaire et une journée de script. Cela aurait été infaisable sur smartphone, j’ai utilisé Première pro. J’ai eu plein de galères dans la transmission de fichiers : désormais, iPhone convertit le fichier avant de l’envoyer par Airdrop, ça prend trois fois plus de temps qu’avant. Et puis j’ai eu des fichiers corrompus parce que le téléphone avait chauffé et s’était éteint en pleine interview… Au final la vidéo a été mise en ligne dans un article le 31 octobre 2019.
Comment marche la vidéo depuis sa mise en ligne?
Elle en est à 17 000 vues sur YouTube le 7 novembre. D’habitude, les reportages qui fonctionnent bien font entre 9 et 10 000 vues. Bien sûr, ça reste bien en-dessous des vidéos d’actu qui peuvent monter à 135 000 vues. En tout cas, ça plaît et on le voit dans les commentaires qui plébiscitent le format et engendrent un débat sur le fond. Toutes les opinions sont représentées dans les commentaires de cette vidéo, ça veut dire qu’on est sortis de notre communauté habituelle.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Je me suis inspirée de plusieurs réalisations, mais pas forcément issues de médias. D’abord No sex last night, réalisé en 1996 par Sophie Calle et Greg Shephard, dans lequel se couple se filme lors d’un voyage en voiture, créant un « mélange de road-movie et de double journal intime« . J’ai aussi apprécié le documentaire Benvenuti a Salviniland d’Antoine Robin, qui va à la rencontre d’électeurs italiens qui ont soutenu Matteo Salvini. Enfin, Les artisans de demain, deux youtubeurs qui filment leur périple, m’ont donné des idées de mise en scène. Côté média, je regarde beaucoup ce que fait Le Monde : on voudrait développer le même ton dans nos vidéos.
Où en est le pôle visuel de l’Obs aujourd’hui ?
Le pôle visuel compte six personnes : cinq journalistes et moi. L’Obs a une longue tradition de reportage : le titre s’est construit avec de grandes plumes qui ont signé d’excellents récits. Cela fait sens de faire perdurer cette identité en vidéo. En retour, l’incarnation vidéo influence l’écrit puisque le service Monde de l’Obs propose de plus en plus de reportages à la première personne. Ce sujet de Sarah Halifa-Legrand au Royaume-Uni en atteste, ainsi que celui-ci de Doan Bui (Albert Londres 2013) au Japon ou encore Sara Daniel en Irak. Et sinon on vient tout juste de fêter nos 100 00 abonnés sur YouTube !