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Âgés de 20 à 35 ans environ, les jeunes adultes ont été baptisés “millennials” par les publicitaires. Un vocable que toutes les entreprises ont repris à leur compte pour parler de cette génération. Les médias ne font pas exception et certains se sont même fait une spécialité de s’adresser à cette cible. Mais qu’est-ce que Konbini, Vice, Melty, Golden network (M6), OhMyMag ou Gentside ont compris des attentes de ces “millennials” ?

 

« Salut les djeun’s, ça boom? » 

Si je vous dis: swipe à droite, série Black Mirror et Kylie Jenner, vous ne répondez pas kamoulox, mais “millennial”. Ce sont en effet des marqueurs de la consommation média des “millennials”, une génération qui regroupe les personnes nées entre 1980 et 2000 environ et qui représentera 72% de la population mondiale en 2030.

Le “millennial” est aujourd’hui aux médias ce que le Graal était aux chevaliers de la Table ronde: un mythe qui oblige au dépassement. Le GESTE (groupe des éditeurs en ligne) avait réuni le 14 mai plusieurs médias qui se sont lancés dans la quête du “millennial” pour faire le point sur leurs stratégies pour atteindre l’objectif.

Autour de la table: Mathieu Marmouget, managing director de Konbini, Romain Marsily, publisher de Vice, Yannick Merciris, responsable innovation éditoriale du Groupe Cerise (OhMyMag et GentSide), Bruno Massiet du Biest, CEO de Melty et Adrien Labastire, directeur général de Golden Network (groupe M6).

Engagement, confiance et qualité: le triptyque gagnant des médias millennials?

Le “millennial” est entré dans l’âge adulte au XXIe siècle. On parlait alors encore de génération Y (parce qu’elle suit la génération X née entre 1966 et 1981). Derrière cette définition calendaire, le “millennial” est doté de caractéristiques sur lesquelles s’accordent les professionnels des médias réunis par le GESTE, même s’ils se défendent de vouloir généraliser ou faire de la “sociologie à la truelle”.

L’identité, tout comme le monde des “millennials”, est fragmentée: nés alors que les idéologies de la guerre froide, ainsi que la religion, semblaient avoir disparu, leur jeunesse est fortement marquée par le 11-Septembre, les attentats à Paris, la crise économique et la prise de conscience du changement climatique.

L’identité est un sujet qui est particulièrement important et sensible pour les “millennials”. Le genre et la sexualité sont devenus des notions “fluides” pour beaucoup d’entre eux, constate Romain Marsily de Vice. Sur le terrain politique, on a noté lors des dernières présidentielles en France, qu’ils avaient plébiscité les extrêmes. En bref, derrière un mot fourre-tout se cache une grande diversité.

Astuce: Si vous êtes vous-même un millennial de 35 ans, ne présupposez pas que vos congénères qui ont la vingtaine pensent comme vous. Vous risquez en effet, à leurs yeux, d’être déjà vieux (surtout si vous connaissez Capitaine Marleau).

Le “millennial” est (dé)connecté

Le “millennial” est bien sûr adepte des réseaux sociaux, mais tous ne se valent pas. Petite typologie des plateformes pour les retardataires: Facebook (pour les vieux – comprenez les plus de 35 ans), Instagram (pour les anciens jeunes), Snapchat (pour les vrais jeunes) et TikTok (pour les très jeunes – à partir de 13 ans).

Mais il y a un revers de médaille au temps passé à se divertir ou à entretenir sa communauté en ligne: les “millennials” ont tendance à rapidement quitter leur premier emploi, déçus de se confronter à une réalité imparfaite et sans impact contrairement au monde numérique, constate Adrien Labastire de Golden Network (M6). Difficile en effet de constater qu’en ligne les likes abondent alors que dans la vraie vie les flops pullulent.

Astuce: Pour séduire le “millennial” par tous les moyens, sans trop dépenser, penser à créer du contenu qui s’adapte aux codes propres à chaque plateforme, et qui parle des (vrais) problèmes du spécimen.

 

Le millennial et la source de ses désillusions: Kylie Jenner, milliardaire et influenceuse YouTube, a 21 ans. © Forbes

Le “millennial” se chasse partout, mais sans pub

La quadrature du cercle pourrait se résumer en peu de mots pour les médias qui s’adressent aux “millennials”: comment produire pour toutes les plateformes alors qu’elles ont des caractéristiques techniques et éditoriales différentes dans un contexte économique marqué par la faiblesse du partage de revenu (revshare) proposé par ces plateformes ?

Pour tous les médias présents, la diversification des revenus est au coeur de l’équation avec notamment la production de contenu pour les marques (brand content) car “les millennials sont hostiles à la pub traditionnelle”, explique Bruno Massiet du Biest de Melty. La pub programmatique et les newsletters, font aussi partie du revenu mix développé par les médias des “millennials”.

Le “millennial” cherche du sens et des solutions

Plus libre, mais en recherche de repères, le “millennial” est engagé et explore son identité en adulant des personnalité – pas forcément très jeunes, comme Bernie Sanders, Nicolas Hulot ou encore Stéphane Hessel il y a quelques temps – tant que ces derniers parlent leur langue, c’est-à-dire celle qui peut être compatible avec les réseaux sociaux.

Le “millennial” vénère Greta Thunberg, icône de la lutte contre le changement climatique, ou Emma Gonzalez, survivante d’une fusillade aux Etats-Unis militant contre le port d’armes. À l’image de ces lycéennes chevronnées, 52% des “millennials” aux Etats-Unis se définissent comme “activistes”, note Romain Marsily de Vice. Un chiffre qui monte à 74% pour la génération suivante (génération Z). Pour les marques, et pour les médias, c’est l’occasion de proposer des solutions aux problèmes dans lesquels les “millennials” baignent depuis toujours, et de montrer leur engagement face à ces défis.

“Nous devons être “solution-oriented””, plaide Romain Marsily : la provocation parfois gratuite ne fonctionne plus. Mettre l’accent sur ce qu’il est possible de faire et le mettre en scène sous forme d’”impact journalism”, c’est ce que Konbini développe notamment avec Hugo Clément, explique Mathieu Marmouget.

Astuce pour les médias: Saisissez-vous des causes chères aux “millennials”, mais ne tombez pas dans le piège de la récupération maladroite comme Pepsi. Faites réellement preuve d’écoute et de sensibilité.

Un spécimen de millennial dans son élément: une manifestante contre le port d’armes aux Etats-Unis brandit un panneau sur lequel figure Emma Gonzalez et son désormais légendaire « We Call B.S. » (« on dénonce le bullshit). © Robb Wilson (Flickr)

Le “millennial” est allergique au bullshit

Maîtrisant parfaitement les codes des médias (notamment numériques), le “millennial” ne se laisse pas abuser par les contenus sans valeur. Il est même armé d’un redoutable “bullshit detector” pour reprendre l’expression du fondateur de Vice, le Canadien Shane Smith.

Cette aptitude à ne pas traîner sur des articles ou des vidéos “putaclic” peut donner l’impression que le “millennial” a la capacité d’attention d’un poisson rouge. En fait, ce “digital native” sait naviguer entre les plateformes, esquiver les pièges à clics et trouver les contenus de qualité. Et si la moyenne du temps passé sur chaque contenu est faible (quelques secondes), il s’attarde de plus en plus sur des vidéos longues (sur YouTube à qui Facebook voudrait emboîter le pas) ou sur des podcasts de longue durée.

Si le “millennial” est assez perméable aux thèses complotistes, en revanche, son “bullshit detector” semble d’une certaine efficacité contre d’autres pièges d’internet, comme celui des infox. Ses aînés, moins avisés, auraient au contraire plus tendance à tomber dans le panneau de la désinformation.

Cette allergie au contenu sans réelle valeur constitue une réelle opportunité pour les médias. En effet, d’après un rapport du Reuters Institute, en 2017 aux Etats-Unis, les 25-34 ans sont ceux qui ont eu le plus de propension à accepter de payer pour leurs infos.

Dans un contexte de défiance envers les médias, les marques favorisant une image de confiance seraient à priori sur la bonne voie. La question de la monétisation est d’ailleurs considérée comme une piste à explorer par plusieurs des médias participant à cette table ronde. Des médias qui sont aujourd’hui tous accessibles gratuitement.

Astuce: Favorisez les contenus de qualité et gardez le putaclic pour votre grand-mère.

 

Un modèle authentique de détecteur à bullshit. © dirtytaco (tenor)

 

Le “millennial” est infidèle

Si le “millennial” est prêt à payer pour des contenus (comme il le fait sur Spotify ou Netflix), l’heure ne semble plus à l’abonnement à un seul média qui dure pendant des décennies, comme pour les générations précédentes. Il apparaît comme difficile à fidéliser, sautant d’un média à l’autre au fil des plateformes. Mais si son attention est difficile à capter, l’animal possède néanmoins une faiblesse sur laquelle les marques essayent de capitaliser: les podcasts et les newsletters. Autrefois complètement ringards, ces formats bénéficient d’une popularité croissante. Les longs articles à scroller sembleraient également avoir le vent en poupe.

Le poisson rouge n’est pas celui que vous croyez. © cocoparisienne (Pixabay)

 

Pour les médias, c’est l’occasion en or de rebondir sur le problème de l’attention fragmentée: en monétisant ce qu’on appelle de façon générique l’engagement, signe général de confiance (comprenez, entre autres, des indicateurs de performance tels que le temps passé et le nombre de sessions par utilisateurs).

Astuce: Du côté marketing et KPIs, oubliez les mesures de volume, et concentrez-vous sur les métriques d’engagement. Vos chiffres d’audience rendront vraiment compte de ce que vous créez avec votre audience.

Si les “millennials” semblent partager un ensemble de caractéristiques et de comportements communs identifiés par les médias jeunes, on remarque aujourd’hui des éléments de leur attitude chez les générations plus anciennes (l’addiction aux réseaux sociaux, par exemple). « Sur le fond, assure Mathieu Marmouget de Konbini, « c’est le digital avant tout qui fait évoluer les comportements« .

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