Le Figaro n’est pas Le Gorafi, mais il se met à l’humour sur les réseaux sociaux. Pour savoir comment le plus vieux quotidien français aborde la question, Sébastien Bailly a interrogé Marie-Amélie Putallaz. La responsable social media du Figaro explique comment Le Figaro joue avec les codes et développe un humour qui augmente la viralité de ses contenus.
Sébastien Bailly [son profil de formateur] – Depuis quelques années, la façon dont les marques s’adressent aux internautes a changé. Elles utilisent de plus en plus l’humour, de manière parfois agressive…
Marie-Amélie Putallaz [son compte Twitter] – Inclure l’humour dans une stratégie de modération n’est pas si nouveau : on le faisait déjà sur les forums à la fin des années 90. On demandait aux modérateurs de faire preuve d’humour pour casser le code froid de la modération, mettre de l’humain, de l’empathie. Ce qui est nouveau, c’est que les marques « sérieuses » puissent se permettre le décalé et l’humour. C’est récent, et ça demande à être surveillé : mal maîtrisé l’humour peut se retourner contre vous. Ce n’est pas forcément une bonne idée.
Sébastien Bailly – Qu’en est-il au Figaro, où de très nombreuses personnes peuvent intervenir avec les différents comptes sociaux de la marque ?
Marie-Amélie Putallaz – Nous n’avons pas de règles établies pour savoir jusqu’où aller dans le LOL. Les journalistes et les community managers qui interviennent ont plutôt tendance à se brider, s’auto-censurer. J’ai plutôt envie de les pousser à se lâcher un peu plus, à oser. Si certains vont parfois trop loin, c’est parce qu’ils s’énervent après des internautes, parce qu’ils perdent leur sang froid. J’appréhende plus les clashs que l’humour.
“Ne pas mettre en évidence les commentaires ridicules”
Sébastien Bailly – Pourtant certaines marques vont jusqu’à insulter leurs contacts sur les réseaux sociaux lorsqu’ils estiment que certains vont trop loin, et à s’attirer ainsi de la sympathie en mettant les rieurs de leur côté…
Marie-Amélie Putallaz – J’avais tendance à partager les commentaires les plus ridicules que je trouvais lorsque je suis arrivée au Figaro. Je faisais des captures d’écran que je partageais sur Twitter. Mon chef m’a fait remarquer que je me moquais des lecteurs. Et ce n’est pas positif, nous n’avons pas à le faire. Respecter le lecteur est une des bases du journalisme que finalement j’avais oubliée. Ce n’est pas formalisé, pas écrit en tant que règle, mais il ne faut pas que nous mettions en avant ce qui n’est pas bien. Les commentaires du Figaro n’ont pas très bonne réputation, même si je pense qu’ils ne le méritent pas : mettons plutôt en avant ce qui est positif.
Sébastien Bailly – Si vous ne pouvez pas vous moquer des internautes, il y a des moment où vous donnez dans l’autodérision. Comme lorsque vous commentez vous même vos erreurs…
Marie-Amélie Putallaz – Oui ! C’est arrivé. Suite à une grosse faute qu’on a laissé dans un titre, on a immédiatement réagi en commentaire pour dénoncer la faute en question. J’ai tout de suite validé cette idée. Et cela nous a attiré beaucoup de sympathie. Nous avons aussi fait pas mal de photomontages à un moment, mais c’était chronophage… Nous avons par exemple joué sur notre petit côté Voldemort lorsqu’un commentaire sous la publication Facebook d’un trailer pour Harry Potter a sous-entendu qu’il était habituel que nous donnions dans la manipulation. Cela a très bien fonctionné.
“Sur Snapchat, nous jouons plus franchement la carte de l’humour”
Sébastien Bailly – Il y a des lieux ou des sujets plus propices à l’humour que d’autres ?
Marie-Amélie Putallaz – Depuis début mars 2016, nous publions une story par jour sur Snapchat. Là, nous jouons clairement la carte de l’humour. Lorsque je code la visite d’Obama à Cuba en emoji, c’est de l’humour, et cela fonctionne. Pour illustrer la polémique autour de l’anneau de Jeanne D’Arc acheté par le Puy du Fou, je publie une photo de Mila Jovovich avec une bulle de BD où elle dit : « Mon Précieux… » Nous respectons la hiérarchie de l’information du Figaro, mais avec le côté décalé de Snapchat. En trois semaines nous avons plusieurs milliers d’abonnés, des abonnés qu’on ne touche pas avec les autres canaux, et 80% de ceux qui lisent nos storys les lisent jusqu’au bout. C’est un succès.