J’ai passé une dizaine d’heures le 6 mai 2012 sur Twitter avec des incursions régulières sur les sites d’info français, belges et suisse à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle.
J’ai eu la chance également de passer 7 heures sur le plateau de France 2 (entre 17h00 et minuit) à assister à la soirée électorale (préparatifs et coulisses inclus) à l’invitation d’Erwann Gaucher et des équipes « nouveaux médias » de France Télévisions. J’étais sur les lieux avec @jegoun et @authueil et nous avons twitté sous le hastag #2012inside.
Cette expérience m’inspire trois réflexions.
1-La télé ne sait pas (encore) quoi faire des réseaux sociaux
Situation impossible pour tous les médias et au premier chef pour la télé: ne rien dire avant 20h00 alors que le vainqueur de l’élection est connu sur les réseaux sociaux et les sites d’infos de nos voisins belges et suisses.Situation incongrue: dans les longues minutes qui conduisent à 20h00, France 2 se risque à faire un point sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux où « ça s’agite » assure David Pujadas. Résultat: un rapide tour d’horizon de Twitter qui ne fera aucune mention des chiffres qui circulent de tweet en tweet.
La législation provoque cette situation intenable en interdisant la diffusion des premières estimations qui sont disponibles bien avant la fermeture des derniers bureaux de vote à 20h00. Mais la loi n’explique pas tout. Après 20h00, la télévision ne sait pas non plus quoi faire de toute cette conversation et de ces informations qui circulent sur les réseaux sociaux.
La télé sociale est encore à venir. Cela dit, chacun la compose à sa manière: un oeil sur l’écran, l’autre sur le smartphone ou la tablette. Cela confirme que l’agilité des utilisateurs dépasse toujours —depuis le début de l’ère numérique— celle des producteurs/diffuseurs de contenus.
2-Les codes de la télé réalité sont entrés dans le traitement médiatique de la politique
Conséquence ou pas de l’absence de clivage politique fort et de la concentration des médias sur l’affrontement des personnalités, les images de télévision nous ont d’abord montré le président et ses proches (Thomas Hollande, Valérie Trierweiler, Ségolène Royal, la cousine de François Hollande) à la recherche des signes de l’émotion avant de rechercher les symboles politiques. La politique à la télé n’est peut-être plus affaire de symboles mais d’émotion. Legs de Nicolas Sarkozy ou symptôme précurseur d’une la « normalité » annoncée?
Dix ans après l’apparition de Loft story sur M6, les codes de la télé réalité se sont immiscés dans les dispositifs des chaînes de télé avec pour point d’orgue, le faux suspens de la porte (va-t-elle ou non s’ouvrir) alors que l’envoyé spécial lâche que la maquilleuse de François Hollande vient de sortir de la pièce. Télé réalité, certes, mais télé avant tout.
3-Le journalisme politique « à la papa » vient d’exploser
Perchés sur leurs motos dans le souvenir d’un Benoît Duquesne tutélaire version 1995, les journalistes chargés de suivre les candidats doivent emprunter les qualités des journalistes sportifs et leur capacité à occuper le direct —ses temps forts et ses temps faibles— pour faire « vivre l’événement ».
Un peu plus tôt dans la campagne, les journalistess vérificateurs champions du fact-checking ont connu leur heure de gloire. La télévision pourtant ne sait pas encore vraiment comment les utiliser. La chaîne d’info en continue i-télé a fait une première incursion dans ce domaine avec le Véritomètred’OWNI. reste que le dispositif n’a pas été utilisé pour des émissions en direct. Il fallait donc se rendre sur Twitter ou les sites d’info en ligne pour vérifier en temps réel la véracité des déclarations des candidats.Les data journalistes qui savent traiter et mettre en forme les données (notamment économiques) ont également fait irruption dans la campagne. Pour le coup, France 2 et François Lenglet ont su s’emparer de cette tendance et les graphiques du journaliste sont devenus l’un des gimmicks de la campagne.
Finalement, ce sont les journalistes politiques à l’ancienne qui ont sans doute été les plus malmenés dans cette élection où l’accès aux candidats est devenu de plus en plus restreint. L’accès aux info et l’accès aux images sont contrôlés de manière de toujours plus étroite. Il suffit de penser aux images des meetings filmées en direct avec de gros moyens techniques et fournies gracieusement par les équipes des candidats. Cette forme de journalisme basée sur l’accès aux hommes/femmes politiques et sur la culture du off a peut-être connu son chant du cygne comme modalité principale du traitement de la politique.
2012 restera pour la télé l’année du porte-à-faux. Si le dévoilement à 20h00 du visage de l’élu reste l’une des figure de référence du traitement médiatique de l’événement, cet instant n’a plus qu’un rôle de confirmation d’une info déjà largement connue.
Pour le reste, le quinquennat qui vient devra être mis à profit pour trouver des moyens d’intégrer habilement la dimension « réseaux sociaux » dans les dispositifs de télévision tant il apparaît que la télé ne va pas être balayée par les réseaux sociaux mais qu’elle va s’hybrider avec eux.
[Disclaimer: France Télévisions est l’un des clients de Samsa.fr]
[Mise à jour]
Ils en parlent aussi:
- Erwann Gaucher: 6 mai 2017 : quelle soirée électorale à la télé ?
- @jegoun: Soirées électorales à la télévision : quelle crédibilité ?
- Télérama: Présidentielle: le récit de la soirée électorale du 2e tour, côté médias
- Emmanuel Berretta: France 2, grand vainqueur de la présidentielle
Je suis assez d'accord toi sur les constats mais je crois que c'est une évolution globale du traitement de la politique. Les réseaux sociaux (à part pour le cliché de 20 heures) n'y sont pas pour grand chose.