Dans la quête de solutions pour financer durablement la rédaction d’un média, nos yeux se tournent régulièrement vers les États-Unis alors que des éléments de réponse sont disponibles à portée de TGV. A Genève, Le Temps a mis en place depuis plus d’un an un paywall identique à celui du New York Times (il a même précédé le géant américain). Et ça marche.
À l’occasion de la conférence 4M Belgrade lancée par CFI [déclaration d’intérêt: j’étais l’un des co-organisateurs], Catherine Frammery, responsable de la rédaction web du média suisse a levé le voile sur les résultats de l’expérience, 14 mois après son lancement. Ils sont plus qu’encourageants.
Le Temps est assez jaloux de ses données chiffrées mais il a laissé percer quelques éléments concernant son paywall à l’occasion de la conférence:
Le dispositif
- Tous les abonnés print disposent de l’accès intégral au site web quelle que voit la version (ordinateur, iPhone ou iPad) sans supplément;
- L’accès aux articles du site n’est possible qu’après avoir créé un compte (même pour la consultation gratuite);
- 10 articles par mois et par compte sont accessibles gratuitement;
- La recommandation (via Facebook ou Twitter) permet d’accéder gratuitement à l’article concerné;
- Plusieurs formules d’abonnement existent (par jour, par mois, web seulement, tous types de mobiles).
Les résultats
Audience:
- Pages vues: baisse de 33%;
- Visites: baisse de 18%;
- Visiteurs uniques: baisse de 10 %;
- Durée moyenne des visites: baisse de 10%.
Business:
- Nombre d’abonnés web only: progression de 166%;
- Base de données utilisateurs de 120 000 profils: progression de 88 %.
La Suisse étant le pays du secret, il n’est pas possible de disposer de données plus détaillées. Je peux seulement dire que les tarifs publicitaires au CPM atteignent des niveaux qui feraient se pâmer de béatitude toutes les régies publicitaires de l’Hexagone qui commercialisent les espaces pub des médias généralistes en ligne. Et ce d’autant que Le Temps privilégie les opérations spéciales plutôt que les campagnes au CPM dont il juge le rendement insuffisant. Aujourd’hui, la mise en place du paywall a donc eu les effets suivants:
- légère baisse de la fréquentation;
- forte progression des revenus abonnés;
- hausse des recettes publicitaires.
Bonjour Philippe,
Je voudrais répondre à ton billet en deux temps, en qualité de lecteur/"user", puis sur le journal.
J'étais devenu un lecteur du journal Le temps avec l'apparition d'internet. Internet me permettait de faire ma revue de presse quotidienne cette fois-ci Francophone non plus franco-française. Je pense que beaucoup de personne comme moi ont fait le choix depuis l'apparition du "paywall" il y a un de ne pas faire le saut et de se rabattre sur d'autres médias suisses francophones accessibles gratuitement. Car la multiplication des abonnements devient trop onéreuses et en ce temps de crise qui dureet qui pourrait encore malheureusement durée très longtemps le choix est vite fait. On perd parfois en qualité, c'est vrai car il s'agit d'un bon canard "hein" :)
En ce qui concerne ce journal Le temps qui est une fusion de plusieurs journaux de Genève en 1998, il faut à mon sens comparer ce qui est comparable en France. Le journal s'appuie sur un actionnariat "costaud" et non pas sur un profil "Startuper" avec des bonnes idées mais sans le sou. Ils peuvent donc ainsi essayer de nouveaux modèles sans prendre de gros risques financiers. Ensuite, le lectorat "papier" est essentiellement suisse comparable un journal local français "La Provence" ou "Midi-Libre" en audience* (je ne parle pas d'édito hein, car nous c'est plus tôt chien écrasé et fait divers). L'audience web est elle aussi genevo-genevoise et un peu au de là. Ce qu'ils ont perdu en audience est je pense hors frontière, ils se coupent à mon sens d'un lectorat CSP+ auquel ils devraient faire une offre différente. Je pense que la presse sur le web doit segmenter son offre.
L'étude ci-dessous concernant le papier (pas trouvé derniers chiffres web) permet d'émettre un bémol sur le peu de chiffres proposer par Catherine Frammery. Car la base de donnée utilisateur recoupe finalement le nombre de lecteurs papier (Ok, ils ne vont pas tous sur le web), donc l'enthousiasme doit être assez relatif sans les chiffres réels de l'audience web.
*Audience presse écrite Suisse Romande http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/19115927
Bonjour et merci pour ce commentaire.
Concernant l'audience internationale (votre premier point), elle est très mal valorisée publicitairement aujourd'hui donc, le fait de perdre des lecteurs étrangers non payant n'a pas d'impact sur les finances du média. Une segmentation plus fine de l'audience permettra sans doute un jour d'en tirer parti mais ce n'est pas encore le cas.
Pour ce qui concerne les comparaisons avec la presse française, elle doivent être manipulées avec précaution dans la mesure où les deux marchés sont très différents. Pour ce qui est de la base de données utilisateur, elle recoupe certes les clients du papier mais elle permet de valoriser l'audience web de manière décisive auprès des publicitaires dans la mesure où nombre des comptes créés sur le site (gratuits ou payants) sont ceux de "leaders d'opinion" que les publicitaires adorent.