Au hasard de pérégrinations en ligne, je tombe à nouveau sur ce compte-rendu de l’intervention de Ben Hammersley à l’occasion de la dernière conférence Lift de Genève. Son propos (retranscrit par Hubert Guillaud, le rédacteur en chef d’Internet Actu) n’a rien perdu de sa pertinence lorsqu’il questionne l’injonction à innover que nous entendons régulièrement (et que je n’ai pas été le dernier à lancer).
Que peut-on faire ? Quelle est notre mission ? s’interroge Hammersley. “Nous n’avons cessé de parler d’innovation, de technologie, de rupture… Mais ces mots ne nous ont pas aidé à convaincre, à faire comprendre de quoi nous parlions.
Notre premier problème, n’est pas d’encourager l’innovation : les gens vont innover de toute façon. Notre premier problème est de traduire l’innovation entre ceux qui ne la comprennent pas et ceux qui la vivent sans la penser. Nous devons ouvrir le chemin pour que les plus jeunes puissent passer avec cette révolution.
Notre premier problème n’est pas l’innovation, mais de la traduire pour que tous la comprennent. Demandons nous comment pouvons-nous expliquer à notre mère, à notre patron, ce que nous faisons… Expliquons leur. Traduisons leur. C’est cela qui est important. C’est en tout cas bien plus nécessaire que d’encourager les gens à innover.
Est-ce que l’un des enjeux centraux du journalisme d’aujourd’hui n’est pas précisément là ? Je le crois de plus en plus.
Bruno Latour a largement montré en quoi la traduction était à l'oeuvre dans les processus de changement technique. Voir "La science en action" … Ah, oui, j'oubliais : cet ouvrage a été publié en 1987, soit il y a près de 25 ans … Il y aurait beaucoup à faire pour comprendre pourquoi les sciences humaines et sociales sont si peu utilisées et valorisées.
Merci pour ce conseil de lecture sur lequel je vais me précipiter de ce pas.
Cet article est venu alimenté une interrogation récurrente.
Venant des sciences humaines et sociales (économie / sociologie) et ayant travaillé plusieurs années sur l'analyse des politiques de soutien à l'innovation technique, et donc sur les schémas conceptuels élaborés par les SHS (et pas uniquement par l'économie et la sociologie, mais aussi par l'anthropologie, la philosophie …), je suis frappé, devenu "acteur" aujourd'hui (fonction publique territoriale, travaillant sur des projets numériques dont certains très lourds), de la vacuité des schémas de pensée implicite sur lesquels reposent les politiques publiques dans le domaine.
La pensée magique règne encore, et pour de nombreuses années. Je côtoie des collègues pour lesquels il suffit de "montrer" de quoi la technique est capable – et donc eux – pour convaincre les usagers de les utiliser … Ce à quoi nous, moi et des collègues, répondons qu'il faut partir des besoins non technique, et tenter de définir par traductions successives, comment et dans quelles conditions les techniques peuvent contribuer à leur satisfaction. Les intérêts sont liés au fait que les usagers devenant acteurs, on réduit les risques de rejet (la fameuse "résistance au changement" invoqué par les technophages pour disqualifier ceux qui n'utilisent pas leurs solutions fantastiques), on facilite l'apprentissage, on crée une habitude d'innovation et de changement, et on diminue les coûts … Trop compliqué, que l'on me répond.
Pour les conseils de lecture, et du même auteur, je vous recommanderai de lire la totalité de son "oeuvre" ou, si vous avez peu de temps, de lire "la vie de laboratoire" et un travail moins accessible "nous n'avons jamais été modernes" (ed. la Découverte à chaque fois). N'hésitez pas à me faire part de vos réactions.
Merci encore. Les bouquins sont commandés ;-)
Si jamais l'envie vous vient de faire part de votre expérience (des deux côtés de la barrière), je serai ravi de vous accueillir dans ces pages. Le sujet me semble effectivement assez central dans nos pratiques et l'injonction d'innover souvent vaine.