Ce billet est également publié sur le blog Choses vues de Emery Doligé (merci pour l’invitation)
J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.
Paul Nizan, Aden Arabie, 1931
Je ne connais pas Rebekah Monson. Je sais ce que je lis d’elle sur son blog: c’est une jeune journaliste; elle est américaine; elle n’est pas encore trentenaire; et elle est une parfaite représentante de la génération Y, celle dont on scrute les pratiques parce qu’il s’agit de la première génération digitale.
Sur son blog, elle vient de publier un post qui tente de nous faire comprendre à nous (quarantenaires et plus) ce qui anime sa génération. Twentysomething: How my generation works est passionnant.
En voici quelques extraits (c’est une adaptation plus qu’une traduction).
- Vous devez comprendre que nous ne démarrons pas dans la vie avec une attitude très positive. Au cours de nos courtes carrières, nous avons déjà été licenciés ou au moins nous avons eu peur de l’être. Nous avons vu nos parents confrontés à des plans sociaux et virés par des entreprises qu’ils avaient contribué à développer. Nous ne sommes pas parvenus à obtenir un boulot après avoir fait ce qu’on nous avait conseillé de faire -des études, des stages, du bénévolat, du tutorat, etc.
- Les chefs d’entreprise nous ont bien fait comprendre que personne dans notre génération n’aurait une Rolex. Nous n’avons aucune illusion sur ce point. Beaucoup d’entre nous n’arrivent pas à obtenir une rémunération de survie et personne ne croit que les choses vont s’améliorer.
- Pourquoi ferions nous du travail une priorité dans nos vies quand il est impossible de se projeter dans une carrière à long terme?
- Personne dans ma génération ne pense que les patrons manifestent le moindre intérêt pour nous en tant qu’êtres humains. Nous acceptons d’être des chiffres dans une feuille Excel mais qu’on ne nous demande pas d’aimer ça.
- Beaucoup d’entre nous vivent chez leurs parents qui luttent eux-mêmes pour survivre avec des salaires de misère. Nous se savons pas comment nous pourrons un jour faire vivre une famille ou acheter un logement tant que nous ne pourrons pas décrocher un travail avec un vrai salaire.
- Beaucoup de choses nous enthousiasment, mais elles n’existent pas dans l’univers de l’entreprise. Nous communiquons en permanence. Nous adorons collaborer. Nous sommes dingues de données. Beaucoup d’entre nous sont imprégnés d’envie d’entreprendre.
- Nous développons des projets en marge de l’entreprise et nous ne vous en parlons pas de crainte de nous faire virer.
- Nos amitiés sont solides et vraiment profondes. Nous considérons nos amis proches comme notre famille et la famille est d’une grande importance pour nous. Nous donnons notre temps et notre énergie à des causes dans lesquelles nous croyons. Nous partageons. Et nous attendons des entreprises qui nous emploient qu’elles fassent de même.
- Nous travaillons et nous attendons. Nous travaillons et nous attendons que nos projets menés en marge deviennent nos projets principaux. Nous travaillons et nous attendons que vous preniez votre retraite pour qu’il y ait de l’argent et des postes disponibles pour nous permettre de « grandir ». Nous travaillons et nous attendons de pouvoir changer les choses en accord avec nos valeurs.
- Non, nous ne voulons pas ce que vous avez, pas plus que vous ne vouliez ce qu’avaient vos parents. Nous ne voulons pas passer notre vie perpétuellement surmenés comme les esclaves d’une entreprise qui ne nous considère même pas. Nous ne voulons pas être mal mariés et vivre dans des pavillons. Pas plus que vous à notre âge. Bien sûr, cela arrivera à certains d’entre nous et peut-être à la plupart d’entre nous. Mais, aujourd’hui, nous espérons y échapper.
L’auteur est donc une jeune journaliste (elle annonce 7 ans d’expérience sur son CV).
Je termine la lecture de ce témoignage avec une drôle d’impression à quelques jours de ma rentrée « scolaire » devant de jeunes étudiants en journalisme. Je me demande si je ne vais pas commencer l’année en leur faisant lire et commenter ce témoignage. Autant qu’ils sachent, non?
[Photo: Steve Snodgrass via Flickr ]