J’ai tout bien suivi les conseils d’Emmanuel Parody et les recommandations de Francis Pisani et j’ai regardé/écouté la vidéo Rob Curley devant les étudiants en journalisme de l’université de Berkeley.
- Première impression: le vice-président du Washington Post en charge des nouveaux « produits » est convaincant dans son sweat-shirt gris à capuche pour nous expliquer que le monde (celui des médias) a changé.
- Deuxième impression: il est enthousiasmant quand il pointe les possibilités de l’information hyperlocale dans le contexte d’un journalisme assisté par ordinateur
- Troisième impression: on a envie de le croire quand il assure que tout cela nous ramène aux bons vieux fondamentaux du journalisme et qu’il s’agit seulement de trouver les formats qui s’adaptent aux nouveaux médias (nouvelles plateformes)
- Quatrième impression: une sensation bizarre….
Rob Curley nous explique doctement que tout ce qu’il a réalisé au Lawrence Journal-World, au Naples and Bonita Daily News et peut-être encore au Washington Post n’aurait pas pu voir le jour sans une batterie de stagiaires.
Il nous assure que les développements qu’il a mis en oeuvre ont rapporté de l’argent. Une assertion que l’on veut bien croire dans ce contexte où apparemment seul un graphiste de talent a été débauché à prix d’or dans une agence de pub new-yorkaise.
Une impression bizarre, vous dis-je qui ramène quelques semaines en arrière. Début mars, Warren Buffet (l’un des actionnaires du Washington Post, l’une des plus grosses fortunes des Etats-Unis, et un homme d’affaires aux analyses souvent pertinentes) s’est exprimé sur l’avenir des médias dans la lettre annuelle qu’il adresse aux actionnaires de son groupe.
Dans ce texte, il estime que le marché des journaux (newspaper industry) est en train de s’éroder. Il ajoute même que si le cable, internet et la diffusion satellite avaient existé alors les journaux n’auraient sans doute jamais vu le jour.
Internet ne viendra pas à la rescousse, prévoit-il.
Selon lui, « le potentiel économique du site internet d’un journal n’est, au mieux, qu’une petite fraction de celui qui existait dans le passé pour un journal étant donné la quantité de sources alternatives d’information et de distraction disponibles à un clic de distance« .
Conclusion: si Buffet à raison et si Curley voit juste, on n’a pas fini de voir bosser des stagiaires dans les sites des médias.
Les stagiaires ne sont pas une fatalité et je ne crois pas qu'ils soient une condition nécessaire. Dasn le cas de Curley il ne faut pas oublier qu'il s'agissait de medias locaux avec peu de moyens et qui ne disposaient pas en interne des compétences requises.
Mais je suis bien d'accord avec le constat: le site Internet réduit au périmètre des seules pages d'actualités ne saurait générer autant que l'activité papier. Mais après tout que resterait-il des journaux sans les suppléments, les hebdos, les mags pieges à pub et les contenus périphériques (hors actu). Ca laisse de la marge.
Cela pose quand même une nouvelle fois la question du modèle économique. Faut-il envisager des équipes rédactionnelles à deux vitesses avec d'un côté, des concepteurs de "produits" éditoriaux, et de l'autre des petites mains (stagiaires, "journalistes citoyens" ou production délocalisée) en charge de nourrir les bases de données confectionnées par les premiers?
Les journaux dans lesquels Rob Curley a travaillé ont de l'argent. En particulier le Lawrence Journal au Kansas. Je vous rappelle que la PQL ricaine fait en moyenne 20% de profit. Ils ont aussi tous accepté l'idée d'avoir une cellule d'expérimentation. Une sorte de R&D, si vous le voulez. C'est déterminant. Le LJ a été le premier journal américain a joué l'intégration totale des rédactions (print + télé câblée + web). Si ce n'est le premier au monde. Merci à la famille visionnaire (et sympathique) qui dirige la World Company (ça ne s'invente pas).
C'est dans cet environnement que Rob a pu s'exprimer. Je crois important de le rappeler, car ce n'est pas l'ambiance classique des médias de presse écrite aujourd'hui. Aux US, comme en France et ailleurs, sauf peut-être dans les pays du Nord (Suède, Norvège…) où on oublie trop souvent de jeter un œil barrière de langue oblige.
Je ne dis pas tout ça pour amoindrir le travail de Rob que j'estime et suis depuis ces débuts au LJ. Je dis cela pour insister sur l'importance de l'environnement. Pas facile d'innover dans des rmédias où la résistance et les certitudes sur net est partout.
@ Jeff
Je crois que tu soulignes un point important quand tu dis "Ils ont aussi tous accepté l’idée d’avoir une cellule d’expérimentation. Une sorte de R&D, si vous le voulez. "
Il me semble en effet que contrairement à beaucoup d'autres industries, celle des médias organise rarement l'innovation sur un mode R&D. Le plus souvent, l'innovation est (il me semble) peu structurée et repose en grande partie sur les bonnes volontés des uns ou des autres.
L'un des enjeux dans le années qui viennent sera sans doute d'intégrer les processus d'innovation dans l'activité quotidienne des médias.