Le rapport de Marc Tessier (La presse au défi du numérique) a été assez largement commenté notamment sur la question du label à destination des sites d’information et celle de la création d’un statut du « journaliste-citoyen » calqué sur celui des correspondants de presse de la PQR (presse quotidienne régionale). Pourtant, le rapport avance deux autres idées importantes. L’une dangereuse (la concentration des médias), l’autre intéressante (une solution pour le droit d’auteur des journalistes) qui ont été relativement peu commentées. [la plupart des liens se trouvent au bas de l’article]
Nécessaire concentration des médias?
Le rapport prône une concentration plus forte des médias afin de leur donner les capacités suffisantes pour investir massivement dans les médias numériques.
L’objet de ce rapport n’est pas de remettre en cause les règles en vigueur en matière de concentration d’entreprises de presse, d’autant plus qu’elles sont aujourd’hui peu contraignantes pour la réalisation de nouvelles opérations.Il s’agit surtout de mettre l’accent sur le fait que, dans un contexte où la presse quotidienne a besoin d’améliorer sa rentabilité et de financer de nouveaux investissements, et où Internet fournit un canal de diffusion extrêmement facile pour tous les courants d’opinion, il serait souhaitable que les opérations actuelles ou futures ne soient pas systématiquement abordées sous l’angle du risque mais qu’elles puissent aussi être regardées comme une chance pour l’avenir de l’écrit, du papier, et des groupes de presse.
Dans le contexte de l’actuelle campagne électorale où la question de l’accès aux « grands » médias est posée par certains candidats, il est étonnant que cette proposition du rapport Tessier ait été peu relevée même si les auteurs ne l’envisagent pas uniquement sous l’angle d’un regroupement capitalistique mais aussi sous la forme de partenariats noués entre différents titres et/ou groupes de presse.
Difficile de souscrire à cette proposition quand on sait la défiance qui vise actuellement les médias traditionnels soupçonnés par le public d’être trop proches des milieux politiques et économiques. Le remède ne ferait sans doute qu’aggraver le mal actuel en approfondissant la crise de confiance et les doutes sur l’indépendance des journalistes.
Une solution pour les droits d’auteur des journalistes
Le rapport Tessier retient une proposition initiée par Olivier Da Lage concernant la question du droit d’auteur des journalistes. Le salaire versé au journaliste couvrirait les premières publications (tous médias confondus) et passé un délai (à définir) l’exploitation des textes, photos, vidéos donnerait lieu au versement de droits d’auteur.
[…] la solution consisterait à laisser à l’éditeur, pendant une courte durée, toute liberté pour organiser l’exploitation multi-supports d’un même article. Ceci passerait par l’introduction d’une dimension temporelle dans le dispositif en prévoyant que, par le seul paiement du salaire, l’éditeur obtiendrait le droit de procéder à une publication multi-supports, mais seulement pendant un délai déterminé, qui varierait en fonction de la nature et de la périodicité de la publication (sans doute quelques jours pour un quotidien ; quelques semaines pour un hebdomadaire). Cette piste de solution semble pouvoir rapprocher les positions des éditeurs et des organisations syndicales de journalistes rencontrés au cours de la mission.
Cette solution a l’avantage de créer un dispositif simple et intelligible pour tous (éditeurs et journalistes). Le deal peut se résumer ainsi: l’éditeur me paye initialement pour un travail qui peut s’exercer sur différents médias et c’est l’exploitation de ce travail dans la durée (archives) qui donne lieu au versement de droits d’auteur.
Un label, pourquoi pas? Un label, pourquoi faire?
La question d’un label pour les sites d’information a donné lieu a des réactions épidermiques attendues bien que le débat ait été posé assez calmement par Emmanuel Parody. L’idée d’un label ne mérite ni un excès d’honneur, ni un excès d’indignité. Je ne suis pas convaincu qu’elle changerait quoi que ce soit.
Reste que, si j’ai bien lu, le rapport incite surtout les éditeurs à se débrouiller par eux-mêmes pour valoriser leur contenu, éventuellement en créant un label. Le label à la mode Tessier vise peut-être plus à aider les Pouvoirs publics à s’y retrouver pour attribuer des aides (ou des allègements de charges) qu’à guider l’internaute de base dans le dédale des « informations » publiées sur internet. C’est là que le bât blesse.
Mais dans le fond, en quoi l’idée d’un label serait-elle choquante par principe? Si ce label garantit les conditions dans lesquelles l’information est produite (nombre de journalistes, méthodes de travail, traçabilité de l’info c’est à dire citer ses sources, etc), il assure une qualité de l’information exactement comme le label rouge… qui ne dit pas que le poulet va être au goût de tout le monde mais qui informe sur les conditions minimales de production. Ou bien faut-il souscrire à l’idée implicite qui jaillit de blogs en blogs selon laquelle la production de l’information ne coûterait rien et serait à la portée de qui veut bien s’en donner la peine.
Le statut des journalistes-citoyens
Reste la question du statut des collaborateurs occassionnels. Poser la question de leur rémunération ne me semble pas déplacé. Faut-il « transposer » le statut des correspondants locaux de la PQR? J’avoue ne pas avoir d’avis arrêté sur la question. Pourquoi ne pas leur payer des piges tout simplement, comme des journalistes. Si leur travail mérite publication, leur sueur mérite rémunération.
Sources:
- Le rapport Tessier
Le rapport – La presse au défi du numérique
Annexe 1 – Statistiques de diffusion et d’audience
Annexe 2 – L’utilisation d’internet par la presse française
- La presse en parle
Jérôme Lemarié dans l’Express
- Les blogueurs réagissent
Commentaire d’Emmanuel Parody en deux temps (première partie, deuxième partie)
Le point de vue de Christophe Grébert
Les menaces perçues par Quitterie Delmas
La question de la concentration vue par Marie Dranem dans le blog médias
Quand un non journaliste rappelle les journalistes à leur mission
Merci de la citation, j'avais un peu l'impression d'être seul … :-)
Oui je crains que l'affaire ne soit un peu plus compliqué qu'on ne le dit. Je me permet exceptionnellement de reproduire mon commentaire sur le blog de Benoit Raphael.
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Sur statut de correspondant la question de fond c'est comment rémunérer ces collaborateurs dans un cadre à la fois marginal mais régulier. S'il s'agissait de régler les collaborations occasionnelles je ne crois pas qu'on aurait ressorti cette solution…
Pour le label c'est aussi plus compliqué, d'accord l'approche est un peu "lourde". Mais ce n'est pas l'état qui serait l'initiateur de ce label mais les acteurs eux-mêmes. Qui sait que les moteurs de recherche sont déjà en train de mettre en place leur propres critères de tris? Il va y avoir des réveils douloureux.
En réalité la question est essentiellement profesionnelle. Pour légiférer sur ce secteur il faut pouvoir le délimiter. La pluaprt des sites amateurs ne sont pas "exclus" ils ne sont pas concernés c'est tout. Celà n'enlève rien à leur qualité. En revanche quand on parle d'entreprises de presse la question est différente: quel qtatut, quel environnement juridique etc…
En vérité l'enjeu c'est détendre le périmètre de la presse pas de dresser des ramparts. c'est aussi une base pour défendre le droit de la presse. je crains que la méconnaissance de l'environnement juridique du droit de la presse par beaucoup d'acteurs du net les conduit à sous estimer cet aspect du débat.
Je ne suis pas un enthousiaste du label mais attention au retour de bâton de la mythologie libertaire de l'internet.