C’est un mot anodin qui, subrepticement, s’est glissé dans nos conversations. Le « contenu » est apparu presque en même temps qu’internet. Son usage s’est développé au rythme de l’augmentation du nombre d’internautes. Si bien que nous parlons de « contenu » comme d’une évidence.
Le mot, pourtant, porte en lui la fin d’un monde. Il consacre l’égalité de toute chose, l’indifférenciation, l’évaluation au kilo. (T’en as combien de contenus? J’en ai des millions de kilobits.) Un contenu en vaut un autre puisqu’il s’agit de faire du chiffre et puisque que le dogme de la longue traîne assure qu’il existe un public pour tout « contenu ».
La question qui se pose aux journalistes (comme à d’autres) à l’heure du web 2.0 et autre UGC (user generated content) est la suivante: sommes-nous devenus des producteurs de contenus?
Dans les studios de radio, il existait une expression que certains techniciens réservaient aux journalistes qu’ils jugeaient pénibles. En sortant d’un enregistrement, le journaliste demandait anxieux: « alors tu as trouvé ça comment? ». Et le technicien de répondre: « ça a fait bouger les aiguilles des vumètres ».
Le « contenu » porte en lui cette même indifférence au fond et à la forme du message. En terme de « contenu », un scoop vaut une oeuvre de création littéraire qui vaut une vidéo familiale qui vaut un commentaire injurieux sur un blog qui vaut une image porno qui vaut…. Tout se vaut puisque le seul critère pris en compte est la capacité du « contenu » à générer de la fréquentation.
Il en découle inévitablement que, dans une logique économique, on va chercher à publier le « contenu » le moins coûteux d’autant plus facilement que rien ne différencie les différentes productions. C’est ce que l’on voit à l’oeuvre dans la démultiplication des plateformes de publication d’UGC.
Pour prévenir toute incompréhension, il n’est pas question ici de nier la légitimité de ce qui est publié aujourd’hui sur internet. Il est seulement question de choisir les mots pour nommer les différents « contenus ».
Pour changer le monde, il faut commencer par bien le décrire. Les journalistes ne produisent pas du contenu. Ils produisent de l’information. Que les marchands de tuyaux (bande passante) appellent cela comme ils veulent, mais nous nous devons d’appeler les choses par leur nom. Sinon, le « contenu » nous tuera tous.