Une polémique récurrente vient balayer les rives du monde journalistique: est-ce une hérésie d’optimiser ses titres pour les moteurs de recherche? Récemment, Jeff Mignon est revenu sur le sujet à la suite d’un article de CNet. On a avait déjà lu ici ou là quelques considérations sur la dérive supposée de la titraille.
La polémique est aussi vaine que stérile. Le fait de devoir assurer un référencement convenable à ses articles est une nécessité pour les sites d’information qui drainent 40 à 60 % de leur fréquentation des moteurs de recherche. La chose n’est pas nouvelle dans le monde des médias. Il y a quelques années, on débattait sans fin sur la politique des couvertures des newsmagazines français qui faisaient en sorte d’être achetés dans les kiosques. Les polémiques du jour ne sont pas tellement différentes. Il fallait une « une » qui fasse envie et (pour les grands formats) qui soit compréhensible même si seulement la motié supérieure était visible dans les présentoirs.
Les contraintes « imposées » aujourd’hui par les moteurs de recherche correspondent seulement à la nécessité d’être vu au sein d’un flot d’information considérable traitant du même sujet ou de thèmes connexes. Il en résulte effectivement que l’humour décalé, l’allusion et le jeu de mots ne sont pas des figures de styles bien traitées par les gars de Mountain View (siège de Google). Un titre efficace sur le web est un titre qui permet de toucher sa cible et, pour cela, il sera rédigé de manière très informative.
Difficile de ne pas être d’accord avec Emmanuel, quand il écrit:
Je pense que la formation journalistique traditionnelle qui privilégie naturellement les titres et les chapos informatifs n’est pas trop déphasée, au contraire même, par cette nouvelle exigence.
Le vrai danger réside dans la pression qui peut s’exercer sur certains auteurs, éditeurs ou rédacteurs en chef. L’exigence de « faire du chiffre » peut conduire à privilégier des titres plus efficaces en terme de référencement, même s’ils risquent d’attirer des internautes peu intéressés par le sujet. Le titre de ce post que vous êtes en train de lire peut sans doute être classé dans cette catégorie.
Ceci nous conduit à une autre question, celle de la mesure de la fréquentation et des indicateurs pris en compte. La visite d’une page qui dure quelques dixièmes de secondes parce que l’internaute est venu voir cette page proposée par son moteur de recherche et s’en est allé immédiatement, cette pseudo-visite vaut-elle celle de cet internaute qui s’est attardé, qui a fait défiler la page jusqu’en bas et à même cliqué sur les liens qui lui étaient proposés?
Tant qu’une visite de 2/10e de seconde vaudra une visite de 2 minutes, alors la question de l’impact négatif des moteurs de recherche sur la rédaction des titres des articles continuera d’être posée.
"L’exigence de “faire du chiffre” peut conduire à privilégier des titres plus efficaces en terme de référencement, même s’ils risquent d’attirer des internautes peu intéressés par le sujet. Le titre de ce post que vous êtes en train de lire peut sans doute être classé dans cette catégorie."
Pas si sûr… Ton titre contient les mots clés essentiels, (journalisme, écrire, Google), mais il a un défaut, par rapport aux moteurs de recherche : le terme "prostituer", évidemment. Qui, et je comprends bien ta remarque, pourrait "attirer des internautes peu attirés par le sujet", mais aussi, et c'est le plus important, attirer des internautes intéressés par le sujet en ce sens qu'il est différenciant, dans une masse de posts sur le même sujet (et j'en ai moi-même commis quelques uns).
Un seul mot va donc à la fois t'amener des "non-lecteurs", qui sauront tout de suite que le site que tu proposes n'a pas grand chose à voir avec leur préoccupations, et des lecteurs, par ce qu'il a d'incitatif et de provoquant.
J'irai jusqu'à dire que c'est un titre parfait pour le Web : les bons mots clés, ce qu'il faut d'incitatif, pas de surpromesse (le sujet est bien traité). Bref, un bon titre, tout simplement. Et s'il gonfle un peu artificiellement les stats, pourquoi lui en vouloir ?
@ l'auteur …
Joli titre, le sujet est interessant, mais j'avoue mal voir où et comment vous répondez à la question. Vous décrivez un certain nombres de problèmes techniques avec simplicité et clarté, et vous parlez de ce problème crucial qu'est la mesure d'audience d'une page web.
Pourtant, le problème de fond que vous abordez va au delà d'une simple optimisation des titres et accroches pour un moteur de référencement, ou les questions posées par les capacités de mesure d'audience d'un article qui ne fait pas la différence entre un visiteur et un lecteur. "Ecrire pour Google, est-ce se prostituer" vous demandez vous. Question qui pour moi en amène une autre immédiatement : Pourquoi serait-ce de la prostitution ?
Google est un tube, un aspirateur qui va chercher du contenu et le propose à ses "visiteurs-clients". Il est sur le web en gros ce qu'un kiosquier fait sur les grands boulevards. Il met du contenu à disposition.
Mais, derrière ce mot prostitution, je crains de voir s'ébaucher une image déplaisante, celle du journaliste qui n'a pas encore compris ce qu'est le web. Google n'est pas un bordel, ni une maison de passe. Google n'est pas non plus un négrier pour journaliste. Le web n'est pas un danger pour vous. A vrai dire, le web, sans humain pour l'alimenter et le consulter n'est qu'une vaste perte de temps d'energie et de cables. Le web n'est et ne sera jamais rien d'autre que ce que nous en ferons.
Et puis, quand même, est-ce plus noble d'écrire sur du papier ? En quoi les caractères électroniques seraient-ils plus infamants ? Vous me semblez agir devant l'apparition du web comme les moines copistes devant l'imprimerie. Avec peur et défiance … L'histoire devrait pourtant vous enseigner ce qui est arrivé à ces moines, dont le travail formidable, unique, incroyable, est mort faute d'avoir accepté, intégré et finalement utilisé une révolution technologique -rien de plus que cela d'ailleurs !
Avancez vers le web. Investissez le. Confrontez vous à lui. Frottez vous à lui. FOncez. Nous avons besoin de journalistes, vorte profession est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Mais j'ai le regret de vous dire qu'en ce moment, vous êtes en grande partie responsables de son déclin et du désamour de vos lecteurs. Il est temps que vous réagissiez.
Manuel Atréide
Manuel,
Merci pour votre (long) commentaire. J'écris : "La polémique est aussi vaine que stérile. " en faisant référence aux journalistes qui si demandent s'il est légitime de se plier aux contraintes des moteurs de recherche au moment de rédiger leurs titres. Je crois que le post éclaire ma position sur ce point. Pour le reste, merci de vos encouragements à me lancer dans le bain du web ;-)
@Philippe,
Au demeurant je ne m'adressais pas à vous en particulier. Cela d'ailleurs serait une erreur. Vous êtes sur le web, et pas depuis hier. Ce simple blog, en faisant abstraction du reste le prouve. Ma reflexion portait plus généralement sur l'attitude de nombres de vos confrères que je trouve très frileux à propos de ce nouveau média. Quand ils n'y sont pas carrément hostiles.
C'est cette attitude de défiance, parfois de crainte que je voulais mettre en exergue. Ainsi que les dangers inhérents. Et, pour suivre les débats réguliers qui portent sur le sujet, je ne vois pas pour le moment de signes clairs et collectivement acceptés d'un changement d'opinion. Pour la profession journalistique, le web est dans son ensemble un machin peu fiable, qui pique les articles et les diffuse sans payer de droits, et surtout qui noie la parole journalistique dans un flot dont elle ne peut plus émerger.
Cela dit, si je viens désormais régulièrement sur ce blog, c'est que tout n'est pas noir et qu'il y a des professionnels qui investissent ce média, aussi. Il y a donc de l'espoir. Car je le répète, je ne peux pas concevoir une démocratie ou la profession de journaliste serait absente. Ce 4ème pouvoir est indispensable. En tant que contre-pouvoir vis à vis des autres.
Amicalement
Manuel Atréide