Pendant un mois, j’ai travaillé pour Samsa.fr à distance, parmi la communauté des “digital nomads” de Bali. S’affranchir ainsi du bureau et du fuseau horaire français nécessite une certaine agilité personnelle et collective, mais permet de renouveler son approche du travail.
Du 11 mars au 9 avril, je suis partie à Bali. Des vacances ? Que nenni. Je suis partie en télétravail pour Samsa.fr, où je suis responsable pédagogique depuis 2015, à temps partiel. Ce projet a germé dans ma tête en août 2018, après avoir écouté plusieurs podcasts sur les “digital nomads”, notamment celui-ci qui raconte comment “vivre et travailler n’importe où dans le monde”. Tout un programme.
Les “digital nomads” voyagent toute l’année avec leur ordinateur, et travaillent là où ils se trouvent. Ils sont généralement à leur compte et dans les métiers du numérique (community managers, modérateurs, développeurs, graphistes…). Certains, comme moi, sont salariés d’une entreprise française et adoptent ce mode de vie/travail pour une période déterminée. On appelle ça le travail en mode “remote” (à distance). C’est différent du « télétravail » classique où les collègues se retrouvent régulièrement physiquement dans le même bureau.
Bali revient régulièrement dans le top 3 des destinations préférées des « digital nomads », notamment les villes de Canggu (sur la côte) et de Ubud (dans les terres). Habituée à recevoir cette population, Bali a développé une vraie culture du coworking (la plupart sont ouverts 24/24 et 7/7) et des cafés Wi-Fi. On ne vous regarde pas avec des grands yeux quand vous demandez le mot de passe du Wi-Fi et une rallonge électrique. Ces facilités ont permis la structuration d’une communauté de digital nomades à travers l’île, avec ses événements, ses codes et ses lieux de rendez-vous.
Enthousiasme des uns, incompréhension des autres
J’ai ainsi croisé un Français qui gère depuis Bali son entreprise basée à Singapour, qui emploie des développeurs installés au Cambodge. Un autre qui travaille dans une entreprise dont l’équipe est éparpillée entre Bali, Cracovie, Barcelone, Paris et Québec. Une experte-comptable dont l’entreprise ne sait même pas qu’elle télétravaille depuis Bali et non depuis chez elle. Des développeurs roumains. Une modératrice de petites annonces de sac à mains. Des freelances en pagaille. Comme dirait le slogan du coworking Outpost à Canggu, Bali c’est “surf, sun & start-ups”.
Quasiment toutes les personnes que j’ai informées de mon voyage à Bali m’ont demandé si je partais / étais partie en vacances ou bien en reportage (je suis journaliste indépendante par ailleurs). Peu pouvaient envisager la possibilité de délocaliser son bureau dans une destination forcément associée aux vacances. J’ai même été suspectée de prendre des congés déguisés, ou pire, de partir en vacances, mais de travailler quand même car je n’arriverais pas à déconnecter…
Après explications du projet, j’ai reçu de nombreux soutiens enthousiastes, mais aussi quelques remarques témoignant d’une pointe de jalousie, de la part de mes ami·es et/ou de connaissances professionnelles. J’ai bien conscience que certains, ne pouvant pas exercer leur métier à distance, sont forcément privés de ce genre d’expérience. Cependant, beaucoup d’autres pourraient tout a fait s’organiser pour partir en télétravail un temps. Pour une entreprise, cela nécessite une culture de l’agilité numérique, des méthodes et de la confiance.
A Samsa.fr, des outils collaboratifs déjà en place
La culture du travail à distance, en mobilité et en souplesse est déjà très présente à Samsa.fr : nous sommes trois – Carole Caumont, Sébastien Bailly et moi – à travailler à mi-temps pour Samsa.fr, en parallèle de nos activités dans le journalisme et l’édition. Nous vivons à Rouen, Poitiers et Paris : ce qui signifie des allers-retours, du travail dans le train et des journées de télétravail assez régulières.
Nous sommes aussi souvent en déplacement pour donner des formations en Suisse, rencontrer des clients potentiels en Belgique, assurer une mission en Afrique ou participer à des événements en région. Sans compter que nous avons deux antennes en Afrique : Cédric Kalonji à Abidjan et René Jackson Nkowa à Douala. Même l’équipe administrative – deux personnes – moins amenée à vadrouiller, pratique aussi parfois le télétravail.
Malgré cela, la collaboration et la communication restent extrêmement fluides. Nous utilisons Slack, Trello, Google Drive, WhatsApp, Zoom au quotidien, et ce, même lorsque nous sommes toutes et tous installés en même temps autour de la même table dans nos locaux du Tank à Paris. Ce qui est finalement plutôt rare !
Gérer le décalage horaire
En partant un mois à Bali, je souhaitais pousser le curseur un cran plus loin en matière d’agilité numérique. En formation, notamment dans les séminaires de créativité éditoriale, nous invitons nos stagiaires à “penser hors de la boîte” (le fameux “think out the box”). C’est ce que j’ai fait, littéralement. J’ai travaillé hors de la boîte, en dehors du bureau officiel et sur un autre fuseau horaire.
Durant la première partie de mon séjour, j’ai travaillé de 15h à minuit (heure de Bali), soit l’équivalent des horaires de bureau français, Bali étant en GMT+8. Pour l’équipe à Paris, j’étais sur Slack et j’aurais pu être n’importe où en France. Avantage : cela laisse la matinée pour profiter de la plage. Inconvénient : cela nuit au sommeil.
Durant la seconde partie du mois, je suis revenue à des horaires classiques, de 9h à 18h (heure de Bali). Avantage : j’ai pu développer une vie sociale locale. Inconvénient : j’ai parfois eu l’impression de rater des choses vis à vis de l’équipe à Paris, car à 18h à Bali, il n’est que 11h en France. Il faut alors beaucoup de discipline pour ne pas traiter des mails dans la soirée, au risque que la journée de travail ne se transforme en 9h-23h.
L’éternelle frontière entre pro et perso
Tous mes interlocuteurs (clients, formateurs·trices) n’étaient pas prévenus de ma délocalisation. Ceux qui l’étaient ne calculaient pas forcément le décalage horaire avant d’appeler. Mais après tout, ce n’était pas leur problème si j’avais choisi un pays aussi lointain. Ce qui m’a amenée à gérer parfois des coups de fil à minuit, dans ma chambre ou depuis un bar.
Pour la plupart, j’aurais pu rappeler le lendemain, mais je ne l’ai pas fait. Le travail en mode “remote” en horaires décalés oblige à (re)définir la frontière entre pro et perso, mais surtout à évaluer ce qui relève de l’urgent et ce qui peut attendre. La distance géographique aide à prendre de la distance mentale.
De ce côté-là, je n’ai clairement pas été la plus rigoureuse des « digital nomads », et ce car mon expérience se limitait à un mois. Ceux qui le vivent à plein temps s’imposent une séparation plus étanche et davantage de rigueur, pour profiter pleinement d’un côté des plaisirs de Bali (plage, surf, yoga, spa, cafés branchés…) et se consacrer pleinement de l’autre à leur activité.
A chacun sa façon d’être heureux dans le travail
Au final, le bilan se révèle largement positif pour l’équipe comme pour moi. Mon chef – aka Philippe Couve, créateur de Samsa.fr, aurait pu craindre que je n’arrive pas à travailler ou que l’équipe en pâtisse. C’est tout le contraire en fait, comme si la motivation professionnelle s’avérait proportionnelle au caractère idyllique du cadre.
L’activité de Samsa.fr n’a pas perdu en fluidité durant ce mois. L’équipe n’a presque pas eu le temps de s’apercevoir que j’étais loin. Les formateurs·trices dont je suis l’interlocutrice n’ont manqué de rien (merci WhatsApp), les clients non plus. Nous avons même répondu à un appel d’offre pendant cette période.
J’ai eu le sentiment d’être plus concentrée et plus productive que d’habitude. Comme quoi, il n’y a aucune corrélation entre la proximité d’une plage et une baisse de l’efficacité. Et puis, loin du bureau, on peut davantage se concentrer sur des dossiers de fond, repenser l’intérêt de certaines tâches ou relativiser l’importance d’une difficulté.
Dans un contexte professionnel d’hyperconnexion et de sollicitation continue, j’ai joui d’une parenthèse qui m’a permis de sortir de ma zone de confort et de cultiver ma façon personnelle d’être heureuse dans mon travail. J’ai trouvé le meilleur moyen de conjuguer deux choses que j’aime particulièrement dans la vie : voyager et travailler. Si certains tiennent à leur droit à la déconnexion, j’ai compris que j’avais besoin de mon côté d’un « droit à l’éloignement ». De partir pour mieux revenir. Je suis donc rentrée dépaysée, renouvelée et remotivée. C’est d’ailleurs le slogan d’un autre coworking balinais : “Get remote(ivated)”.
Bonjour Marianne, j’ai lu avec intérêt cet article. Je n’y ai pas trouvé les réponses à certains aspects pratiques : comment as-tu géré les choses avec ton foyer ? Qui a payé le voyage (transport et hébergement) ? De quelle manière as-tu travaillé pour ton activité de journaliste indépendante ? Amitiés, Raphaël
Bonjour Raphaël,
Merci pour ta lecture et ton commentaire.
N’ayant pas d’enfant, je n’ai pas eu à gérer mon foyer, ce qui simplifie beaucoup ce genre de voyage :)
C’est moi qui ai payé mon avion (600 euros), mon hébergement (10 euros / nuit) et mes repas (15 euros / jour).
J’ai travaillé avec ma casquette de pigiste les jours où je ne travaillais pas pour Samsa.fr, de la même manière que je le fais en France. Mon boulot de responsable pédagogique à Samsa.fr correspond à 12 jours de travail / mois que je place comme je le souhaite, soit 3 jours / semaine pour assurer une présence régulière. Je suis libre d’organiser mon activité de journaliste comme je le veux le reste du temps. Etre à Bali n’a pas changé cette organisation. N’hésite pas à m’appeler si tu veux en discuter plus longuement.
Marianne