Un article du Monde se penche sur les animateurs de communautés qui commencent à apparaître dans les médias français quelques années après leur émergence les médias américains et britanniques. Ecrit par Xavier Ternisien, cet article me semble appeler plusieurs commentaires de la part du créateur/animateur de communauté et néanmoins journaliste que je suis depuis deux ans. [Ce billet était au départ un commentaire déposé du FriendFeed]
L’article me semble un peu réducteur. Son titre surtout: « Sur le Net, des journalistes se muent en animateurs pour doper les audiences ». L’animation de communauté n’a pas grand chose à voir avec du dopage, c’est même tout l’inverse: un travail de fond pour des résultats d’audience très progressifs. Les Marco Pantani qui grimpent les sommets des statistiques de fréquentation utilisent d’autres techniques.
Je passerais sans m’attarder sur la condescendance du titre qui assure que les « journalistes se muent en animateurs ». Depuis le portrait-robot du journaliste multimédia (qui date de 2 ans), j’ai pu constater que le fait de dialoguer avec l’audience était souvent une perspective effrayante pour les journalistes.
Quelles sont les idées qui sous-tendent l’idée de communauté pour les médias? Il y en a deux principales, je crois.
La première est de considérer que quelque chose peut émerger du dialogue avec l’audience dans la mesure où le journaliste n’est pas omniscient. C’est qui est dit dans le papier par Marie-Amélie Putallaz:
Sa première fonction est de modérer les commentaires des internautes. Elle n’aime pas ce mot : « Modérer, c’est laisser entendre qu’on coupe, qu’on censure. Mon rôle consiste aussi à valoriser les réactions des lecteurs, à les synthétiser. » Elle lance des appels à témoignage en rapport l’actualité. Au besoin, elle entre en contact avec les internautes par mail. « Je leur demande d’apporter des informations. En échange, ils me disent ce qu’ils veulent voir et entendre. Je suis un peu l’ambassadrice des internautes auprès de la rédaction. »
Au delà de cela, il me semble que l’une des dimensions communautaires essentielles pour les médias n’est pas abordée dans l’article du Monde. Créer une communauté autour de son média, c’est (re)créer une forme d’attachement, un lien affectif entre le média et l’internaute. C’est au final créer d’autres raisons de revenir sur le site que le simple fait d’y trouver des informations. On sait aujourd’hui que l’info ne fidélise pas, que les sources sont innombrables et que l’internaute est volage. En revanche, on sait aussi que la perspective de retrouver une communauté est un élément de fidélisation (stickyness diraient les Américains).
Le problème, c’est que l’on peut imaginer que les médias vont être de plus en plus nombreux à vouloir « recruter » les internautes les plus pertinents et efficaces en matière de veille/recherche/exploitation/vérification/mise en perspective de l’information. Hypothèse: ces internautes vont choisir de contribuer dans les communautés où l’échange symbolique (à défaut de pécuniaire) sera le plus important. Il est donc essentiel de se positionner vite et bien pour les médias de manière à constituer des communautés cohérentes en expérimentant ce que peuvent être les termes de l’échange avec les internautes. Et ils sont multiples. C’est que Marie-Amélie sous-entend, je crois, en disant: « Mon rôle consiste aussi à valoriser les réactions des lecteurs, à les synthétiser. » Le rôle consiste aussi à former les internautes (cf. le coach de Le Post.fr) comme cela avait été mis en avant lors du 1er sommet du journalisme en réseau (Networked journalism):
Si les journalistes deviennent membres de la collectivité avec laquelle ils pratiquent le co-journalisme, leur position change. Il est question d’échange de savoir (ou savoir-faire) entre le journaliste et la collectivité et non plus d’échange d’information seulement. Et l’une des compétences du journaliste est de savoir organiser cette collectivité.
On n’est vraiment pas dans le dopage.
Je termine avec 10 conseils pour animer une communauté en ligne (un peu ancien mais toujours d’actualité) et une suggestion: et si on se faisait un apéro « Virenque » avec ceux qui dopent l’audience à l’insu de leur plein gré.
Effectivement, ce n'est pas du dopage et c'est un boulot fondamental sur les sites médias aujourd'hui. Ce qui me gêne le plus avec l'article de X Ternisien, est qu'il n'entre pas vraiment dans la réflexion sur ce qu'est une communauté de site, sur la manière dont cela se construit. Pire, à le lire on a l'impression que c'est une découverte!. Pas une ligne par exemple, sur ce que font des sites (je pioche presque au hasard) comme celui du Spiegel, de The Economist, de Business Week, et plus près de nous L'Expansion ou encore effectivement Le Post.
Je ne sais pas trop si on doit "former" les internautes à être des mini-journalistes, ou si on doit les aider à partager leurs richesses. J'ai l'impression que si on leur impose notre savoir-faire, on dénature leurs apports… sauf s'ils souhaitent apprendre notre manière de fonctionner, évidemment. Mais je ne suis pas persuadée qu'il faut les contraindre à adopter nos codes. J'ai l'impression que c'est plutôt à nous d'adapter notre métier à leurs contributions.
Et oui, bien sûr, le lien avec l'internaute est essentiel! Le Web nous donne la chance de pouvoir jouer le dialogue et la transparence – c'est une occasion rêvée pour regagner la confiance des lecteurs.
Et je suis pour l'apéro Virenque. D'autant que par chez moi, on fait du petit blanc bien sympa…
Marie Amélie,
La notion de formation ne consiste pas à faire des mini journaliste mais à partager notre savoir et notre savoir-faire. Mon expression était sans doute trop rapide. Mon expérience est que lorsque je conseille à un internaute de modfier un titre ou de réorganiser le contenu d'un billet, le conseil est généralement apprécié. Idem pour ce qui concerne la mise en ligne de photo ou encore ce qui concerne le référencement.
Est-ce que tu as la même expérience?
Pour l'apéro Virenque, on dit la semaine prochaine?
Pauvre Xavier… Toujours aux prises avec ces vilains journalistes 2.0 qui lui reprochent toujours sa couverture de "leur" travail. LOL.
Peut-être que mes internautes étaient plus chatouilleux, alors…
A quelques exceptions près, ils n'aimaient pas beaucoup qu'on retouche leurs textes, les réorganise ou les retitre.
En revanche, ils n'avaient pas de problème en effet avec l'aide "technique" (photo, référencement, tags, etc.).
Pour qu'il n'y ait pas de méprise, je ne retouche rien à la place des internautes, mais il m'arrive de suggérer, de conseiller. C'est en général apprécié.
Je suis bien tenté de faire un parallèle entre l'enthousiasme de certains journalistes face Twitter et leur réticences face à l'animation de communauté : c'est toute la différence, à mon avis, entre l'accumulation d'une audience et la construction d'un public, c'est à dire d'une vraie communauté de lecteurs (cette réflexion m'est inspirée autant par @ternisien que par cet article de Clay Shirky, signalé par Eric Scherer : http://tinyurl.com/nsysn2 ).
Twitter n'est pas un outil d'animation de communauté très performant, quand on dépasse un cercle restreint d'amis. Dès que l'on dépasse quelques centaines d'abonnés/abonnements, le flux est illisible et il n'y a pas de véritable dialogue possible (sauf à jouer avec adresse d'outils de filtrages sophistiqués tels que des flux RSS sur des recherches, mais c'est vraiment pour les geeks). D'ailleurs, les médias qui proposent des flux Twitter les utilisent comme un outil de diffusion supplémentaire, et uniquement pour cela. Compter le nombre d'abonnés d'un tel compte, ce n'est pas parler réellement d'une communauté (ça vaut même moins que compter de simples clics).
Former une communauté, c'est à mon avis tout autre chose. Celle de l'Atelier des médias en témoigne (je ne reviens pas sur les enquêtes participatives), ou celle du Post, également citée. On a oublié aussi celle de Rue89, qui me semble l'une des plus réussies et productives pour le moment : le travail mené sur les commentaires par l'équipe du site permet réellement de faire sortir du lot un contenu intéressant et constructif apporté par les lecteurs.
Partout ailleurs dans ces sites de médias, cet apport est noyé dans un flot le plus souvent médiocre et excessivement polémique. D'ailleurs, dans la plupart des rédactions, les journalistes ne lisent même pas les commentaires sur leurs propres articles. C'est dire. Alors, y répondre !
Les "journalistes à l'ancienne" ne se sont, au fond, jamais réellement préoccupés de leur rôle personnel, individuel, dans la construction du public de leur média. Ils se sont souvent bornés à se positionner individuellement vis à vis d'une ligne éditoriale, plus ou moins explicitement affichée par le média, avec parfois un engagement un peu plus prononcé, comme au temps de l'âge d'or des sociétés de rédacteurs.
En ligne, ce comportement est un frein considérable à la construction d'un public, car le web est avant tout un média d'interactions sociales. La diffusion des contenus n'est pour une grande part des lecteurs qu'une occasion (voire un prétexte) à établir des relations sociales, à s'intégrer dans des communautés.
Les médias (et les journalistes) qui continuent à raisonner en termes de marque de médias, d'audience et de diffusion de contenus, se condamnent à une diffusion déqualifiée, sous l'emprise de Google et vouée au marketing rédactionnel et au canon à dépêches. C'est à dire qu'il auront peut-être de l'audience, mais ils n'auront pas de public.
La seule issue, à mon sens, est bien dans la construction d'un public par l'animation de cette communauté de lecteurs et son association à la co-production de l'information. Et il faut reconstruire depuis la base, au coeur même des réseaux. La relation entre média/journaliste et lecteur/internaute ne s'importe pas depuis le hors web (les vieilles marques ne comptent guère), elle s'y reconstruit sur place.
Tous les journalistes n'ont pas nécessairement à jouer ce rôle, ou pas tous autant (il faut quand même que certains aillent à Bagdad !). Mais cette nouvelle fonction d'animateur de communauté doit être au moins joué par chacun pour ses propres articles, et de manière plus spécialisée par d'autres pour le compte de l'ensemble d'une rédaction. Cette fonction est même essentielle, car c'est la clé de la fidélisation de l'audience en ligne. Et ce n'est pas sur Twitter qu'on va la trouver…
@Couve Sauf que si l'on attend la validation de l'internaute pour effectuer une retouche – ou pire, si l'on attend qu'il retouche lui-même son article – on perd un temps fou. Beaucoup trop important pour qu'un site d'information ne puisse se le permettre sur un sujet d'actualité…
@Narvic Merci beaucoup. C'est clair, précis, complet – et tellement vrai! Twitter apporte énormément aux journalistes… mais pas sur leur "communauté". C'est plutôt du travail sur les sources et le réseau.
Marie A. , prêcheuse de la lecture des commentaires
Finalement, je n'ai sans doute pas abordé l'essentiel dans ce post écrit en réaction à l'article du Monde. Il existe finalement deux types de communautés: les verticales et les autres.
Les communautés verticales sont celles qui permettent l'échange essentiellement avec le média. Certes, les internautes peuvent se répondre et se compléter d'un commentaire à l'autre mais le dispostif est centré sur le média et sa production. C'est le cas de la quasi totalité des médias aujourd'hui.
Et puis, il y a les autres; les communautés au sein desquelles les membres peuvent aussi facilement échanger entre eux qu'avec les journalistes du média qui abrite la communauté. Ce cas de figure est encore très rare. L'Atelier des médias en fait partie, LePost aussi, LeFigaro et Libé s'y engagent très prudemment. j'en oublie sans doute mais vous pourrez compléter.
La différence fondamentale entre les deux cas de figure est que la communauté où les échanges entre membres sont possibles via des dispositifs de type Facebook (fiche de présentation, amis, messages privés ou publics, etc), ces communautés se constituent autour du média. Les membres de ces communautés estiment qu'ils ont des chance de "rencontrer" des internautes intéressants parmi ceux qui se rassemblent autour du média.
Je crois que c'est là l'une des véritables clés de fidélisation dans l'avenir.
Je dois être un vieux con qui ne comprend plus grand chose à la presse aujourd'hui.
Les animateurs de communautés existaient bien avant l'apparition des blogs et des sites Web des médias. Pensons à Compuserve ou AOL dans les années 90. Certes, les animateurs n'étaient pas journalistes, mais ils parvenaient à fédérer les internautes sur des sujets divers.
Par ailleurs, les lecteurs de journaux traditionnels (comprenons "papier") ont toujours eu la possibilité d'écrire à leurs médias préférés pour compléter une info ou s'en offusquer. La seule chose qui a changé aujourd'hui, c'est la capacité à répondre instantanément à un article de presse et surtout de pouvoir être lu par d'autres lecteurs d'un même média (ce qui conduit d'ailleurs souvent à une surenchère dans les débats entre lecteurs). Il s'agit donc tout simplement de l'avènement d'un "courrier des lecteurs 2.0".
Mais, à mon avis, le problème de la presse à l'heure actuelle est tout autre. Il s'agit de sa crédibilité. Aujourd'hui, j'ai tourné le dos aux médias traditionnels comme Le Monde, Libération, l'Express ou le Nouvel Obs (je fus abonné des deux derniers cités). Je n'y trouve plus d'infos pertinentes, les vrais enjeux de société (politiques, environnementaux, etc.) sont édulcorés et pipolisés. Sans doute le poids de leurs actionnaires et dirigeants.
Par conséquent, au vu de ce constat, je ne lis plus que le Canard enchaîné et des sites comme bakchich.info, mediapart ou rue89. Or, le premier n'a pas de site Web digne de ce nom et le deuxième ne semble pas avoir développé une réelle politique quant aux animateurs de communautés…
Enfin, je m'interroge sur la ligne éditoriale des médias présents à la fois en kiosque et sur le Web. Varie-t-elle en fonction du support utilisé ou bien est-elle identique ? C'est une question qui me semble fondamentale, car un journal ayant une ligne éditoriale différente selon qu'il est présent sur le papier et sur Internet me semble au bord de la schizophrénie. D'où certainement l'incompréhension qui semble régner actuellement entre journalistes traditionnels et forçats du Web !
Selon ma perception, le journaliste lambda se voit encore (trop) souvent comme le détenteur d'un savoir à transmettre à une foule anonyme, comme le maître d'hôtel qui choisirait le menu que doivent consommer ses clients. C'est le cas sur un "marché" de l'info caractérisé par la rareté de celle-ci. Mais nous sommes passés à l'époque de la (sur)abondance et, comme dit Philip Meyer, le problème n'est plus de transmettre de l'information mais d'organiser et de faciliter les accès à l'information.
Marie Amélie,
La notion de formation ne consiste pas à faire des mini journaliste mais à partager notre savoir et notre savoir-faire. Mon expression était sans doute trop rapide. Mon expérience est que lorsque je conseille à un internaute de modfier un titre ou de réorganiser le contenu d’un billet, le conseil est généralement apprécié. Idem pour ce qui concerne la mise en ligne de photo ou encore ce qui concerne le référencement.
Est-ce que tu as la même expérience?
Pour l’apéro Virenque, on dit la semaine prochaine?
Journaliste-animateur de communauté est inéxorablement un métier à part entière en devenir. Lorsqu'on lit les commentaires (non modérés) de certains journaux en ligne, on réalise que l'une des tâches de ce nouveau profil est de disséminer/susciter l'idée des cafés-philo sur le net. L'objectif ne serait-il pas de transformer le Café du commerce en Flore ? Quitte à chercher à vouloir rafler un magot avec de l'augmentation de trafic, pourquoi n'en pas viser deux?