Quand une interrogation dépasse, même de peu, les 140 caractères autorisés par Twitter, on est bien content de retrouver son blog.
La question est la suivante: alors que l’expression « journalisme de liens » (aka link journalism) gagne lentement du terrain, à partir de quel moment le fait de poster/partager un lien s’apparente-t-il à du journalisme?
Perso, je n’ai pas vraiment la réponse.
A partir du moment où il y a plusieurs liens? Mais, combien?
A partir du moment où le lien est posté par un journaliste?
A partir du moment où le lien est commenté?
Des idées?
[Photo: Ezu via Flickr]
A partir du moment ou il est éditorialisé ("commenté" dans votre liste je crois)
Un lien seul, c'est du social bookmarking
Un lien commenté = journalisme de liens ? Ca me semble un peu court. Mais je n'ai pas de bonne réponse à proposer.
Peut-être que pour bien aborder cette question, il faudrait d'abord redéfinir le journalisme ? Et déterminer la place que tient le lien dans cette nouvelle définition ?
Mais bon, redéfinir le journalisme en ce moment est une tâche des plus ardues…
Sinon d'accord avec Nicolas, un simple lien, ça me semble être surtout du social bookmarking.
Choisir un lien c'est déjà choisir une information (où si l'on veut le chemin vers une information), donc c'est déjà du journalisme.
Derrière, se pose la question de la mise en forme de cette information: bookmark, site, blog, insertion dans un papier, etc. En tout cas, l'oppostiion bookmark/journalisme me semble dépassée. Qu'est-ce que le Drudge Report sinon un site de bookmarking, bien qu'il soit toujours défini (me semble-t-il) comme étant un un site de presse.
Pour préciser les choses, la question que je me pose est celle de la différence entre un lien relevant du "journalisme de liens" et un lien "tout con" que quelqu'un partage.
Dans ce cas le "journalisme de liens" n'est peut-être qu'une sorte de guide, d'office du tourisme pour le web ?
Seulement est-ce que dans cette optique un lien est une information en soi ?
Pour ne pas que ce soit "un lien tout con" il faut alors lui trouver une vrai valeur ajoutée, mais laquelle ?
Désolé de poser davantage de questions que d'apporter des réponses :)
Je ne suis pas journaliste, mais grande consommatrice d'information.
Un lien commenté tient plutôt du partage de signets. Nous nous attendrions à plus d'efforts de la part de journalistes (au minimum, un assemblage de liens, organisés, commentés et mis en relation entres eux). Tweeter c'est bien, mais nous avons besoin de repères pour reconstituer les sujets.
L'information nous parvient fragmentée et issue d'une multitude de canaux différents, il nous faut un cadre (historique, contexte) pour assurer la cohérence des messages. C'est ce qui a toujours fait cruellement défaut pour bien des produits d'information.
et en bon français "social bookmarking" signifie ??
@ urban
Wikipedia traduit par « marque-page social », « navigation sociale » ou « partage de signets »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Partage_de_signets
un lien peut être un peu comme du service (comme dans un journal on va donner adresse et téléphone d'un musée ou d'une salle de spectacles). Sans analyse ni réflexion ni mise en forme, ce n'est pas très satisfaisant.
C'est un choix parfois, mais aussi une sorte de "regardez tout ce que j'ai lu". Or
on a besoin d'informations triées, hiérarchisées. C'est ce tri, cette hiérarchisation qui va en faire du journalisme.
Deux pistes semblent se dégager:
– le signalement de liens intéresssants en temps réel en sans commentaire (façon Drudge Report)
– le rassemblement de liens intéressants et commentés pour contextualiser une information
Aucun de ces deux exercices ne me semble être du ressort particulier des journalistes.
Pour le moment, je ne sais toujours pas ce qu'est le journalisme de lien. Mais peut-être que ce n'est pas très grave.
Salut Philippe
Tout le monde se pose ces questions (j'y réfléchis, tu t'en doutes, depuis un moment) et il y a probablement plusieurs réponses et niveaux de réponse et pour certains questions… pas – encore – de réponse. ;-)
Un aspect que personne n'a encore avancé, me semble-t-il : la validation. Elle prend plusieurs formes : la pertinence et la vérification. Un lien "de journaliste", dans l'exercice de sa profession, devrait répondre à ces deux exigences : le contenu lié est intéressant, important, innovant, d'actualité… donc pertinent, et surtout je valide la source en la liant : j'ai vérifié que la source présentait un minimum de sérieux (car je la connais, ou qu'elle est reconnue d'une manière ou d'une autre), ou bien la source m'était inconnue et j'ai procédé à quelques vérifications ou recoupements (vérification interne : ce que dit cette source par ailleurs est-il crédible ? vérification externe : d'autres sources connues et sérieuses confirment-elles l'information ?).
Second niveau : le cadre de la diffusion du lien. Une alerte sur Twitter, aaaliens et autres diffuseurs de "liens bruts" à l'unité, ce n'est pas la même chose qu'un fil continu, type revue de liens, comme les nôtres, et c'est encore différent des liens insérés dans un article, à titre documentaire sur la question traitée (citation des sources, mise en perspective, prolongation de la question…).
On touche là la question du contexte du lien, qui permet – ou pas – de le qualifier. Dans le cas des liens "documentaires", la question reste simple : le texte de l'article, son auteur, le contexte dans lequel il est publié (blog, site de presse, etc.) permet de se faire une idée de la qualité et de la pertinence du lien en comparaison de ce qu'il y a autour.
Dans le cas des revues de liens et des "liens d'alerte", le contexte c'est l'auteur et sa réputation, avec la même problématique interne/externe : la cohérence de la revue et sa qualité jugée d'après l'expérience que l'on a pu en faire avec le temps, la réputation de l'auteur établie dans un autre cadre que l'on connait (un blog, sa production professionnelle dans un média…).
On reste en réalité dans une problématique très classique du journalisme traditionnel : diffuser des informations validées (pertinence et vérification). Il n'y a pas de raison d'utiliser le terme de "journalisme de liens" quand le lien n'est pas proposé par un journaliste ! Je lis sur ce plan beaucoup d'emplois très confus de cette expression sur le net.
On peut faire un parallèle avec une distinction juridique établie avant le web : la recension d'articles de presse commentée sur un thème (entendu que l'on déborde de l'exception de courte citation) s'appelle "une revue de presse" quand elle est effectuée par un journaliste, et un "panorama de presse" quand ce n'est pas le cas. Le régime juridique du droit d'auteur est d'ailleurs totalement différent dans les deux cas.
Toutefois, la question se complique sur le net : une revue de liens, même effectuée par un journaliste, est différente d'une revue de presse. Juridiquement, la notion de "revue de presse" implique nécessairement l'éditorialisation, qui prend la forme de l'inclusion de la citation de l'oeuvre dans une nouvelle oeuvre créée par le journaliste qui cite et qui commente, et que le droit appelle "l'oeuvre citante". Cela implique également une possibilité de "réciprocité" : je te cite, mais je produis également, par ailleurs, une "matière à citer" que tu peux reprendre.
En ligne, il semble difficile de purement et simplement assimiler un lien à une citation. Le "statut" du lien ne me semble d'ailleurs pas vraiment tout à fait précisé en droit.
En tout cas, les critères définissant une revue de presse ne peuvent pas être appliqués tel quel à une revue de liens, si ces derniers ne sont pas éditorialisés au sein d'une oeuvre citante. La question de l'éditorialisation devient donc cruciale. Il me semble clair que le mini texte de description d'un lien sur le principe d'aaaliens, ou bien les annotations sur Google Reader, relèvent bien de l'éditorialisation. De même (et c'était tout l'enjeu des débats lors des procès Fuzz, Dicodunet, etc.), les tags constituent bien eux-aussi une forme d'éditorialisation (du moment qu'ils sont bien définis par "l'auteur" du lien et relatifs spécifiquement à ce lien, et qu'ils ne relèvent pas d'un processus de "taggage" automatisé, mis en place "a priori", ou issus de reprise automatisée d'informations contenues dans le lien ou sa source).
Quand il n'y a pas d'éditorialisation (ni commentaire, ni tag), on n'est plus dans ce cadre. Et à vrai dire, je ne sais pas dans quel cadre on se trouve alors. ;-)
La diffusion d'un "lien brut", sans éditorialisation, relève-t-elle encore du journalisme ? On revient aux questions de la réputation de l'auteur, du contexte externe/interne, de la validation (pertinence/vérification), et tout cela reste tout de même très… flou.
A un autre niveau, le débat se complique encore, si on met de côté la question du journalisme professionnel (tel que défini – de manière plus ou moins floues ;-) – par la pratique professionnelle, la déontologie, la loi et la jurisprudence), et les questions de propriété intellectuelle.
Est-ce qu'un lien est une information ? Probablement. Mais c'est tout de même une information un peu particulière. Un liens avec un "auteur du lien", un contexte et une éditorialisation, c'est surement une information. Mais sinon ? Et s'il y a un contexte et une "éditorialisation" automatisée, mais pas d'auteur, comme dans le cas des moteurs de recherche algorithmiques ?
Les anciens cadres conceptuels collent mal avec internet, il y a plein de choses à revoir. ;-)
La question centrale, à mon avis, c'est bien QUI lie ? Il en découle plus ou mons clairement le cadre dans lequel est diffusé le lien, l'intention de cette diffusion, qui renseignent à leur tour sur sa qualité.
A mon sens, on ne peut parler de journalisme de liens (amateur ou professionnel) que lorsque l'auteur et son intention sont déclarées, ou que l'intention est implicite mais sans ambigüité.
Des projets comme Publish2 et aaaliens tentent d'apporter des réponses (identification des auteurs des liens, déclaration d'un contexte (professionnel pour Publish2, blog de l'auteur pour aaaliens) et charte/règle du jeu – le problème de son respect est une autre question ;-)…). Pour smallbrother ou rezo.net, le contexte est différent, et moins satisfaisant, à mon sens (smallbrother ne se revendique pas du journalisme, mais du coup de quoi ? rezo.net est clairement militant…).
Des revues comme les nôtres me semblent également sans ambigüité, sur l'auteur, le contexte et l'intention, mais on peut se poser – au passage – quelques questions tout de même. ;-) Rediffuser les articles intégralement sur Google Reader comme nous le faisons, c'est tout de même plus qu'un lien ! Diffuser sans éditorialiser (tag et commentaire) est-ce suffisant, est-ce légitime ?
Dans ma "première" pratique de la revue de liens, je diffusais systématiquement des liens taggués et commentés. Désormais, pour des raisons de temps et de technique, je ne le fais plus (quelqu'un sait comment "faire passer" les tags de Google Reader dans Delicious ?). N'est-ce pas une baisse de qualité ? Quand je re-diffuse des billets en intégralité dans le flux Google Reader, est-ce légal ? Je n'en suis pas si sûr. La mise à disposition d'un flux RSS intégral ne constitue pas juridiquement une autorisation de re-publication, or n'est-ce pas justement une re-publication ?
Comme tu me le signalais chez moi en commentaire, Philippe, nous faisons avec les outils dont nous disposons, mais aucun n'est vraiment tout à fait satisfaisant. Il faut continuer à en chercher d'autres et les expérimenter, voire en inventer. Le journalisme de liens est une discipline encore jeune et pas tout à fait constituée… ;-)
@ Narvic
Si j'essaye de résumer: c'est l'intention qui fait le journalisme et il existe donc journalisme de liens quand il existe intention (durable?) d'informer en signalant des liens qu'on essaiera (si possible) de contextualiser.
Ahem… difficile de passer après Narvic, n'est-ce pas ?
Je crois qu'il faut être exigeant. Mais le journalisme de lien, ou la sélection de liens, est un acte volontaire qui a du sens. La preuve ? Lier peut être… puni par la loi. Rien que ça. Lier n'est donc jamais neutre.
Alors "journalisme de lien" ? Quleques propositions, qui à mon sens sont complémentaires et doivent se cumuler :
– Il faut des catégories, les classements. Proposer 5 liens sur un sujet, c'est déjà dresser un panorama et penser que ces 5 sources sont des compléments, un moyen d'enrichir le débat.
– Il faut que ce soit régulier. Cela peut être un rendez-vous (hebdomadaire ? quotidien ?) ou bien réservé à certains sujets (en fin d'un dossier, façon "pour aller plus loin" ?).
– L'approche de l'auteur compte davantage que son métier je crois. Si c'est rigoureux, c'est déjà beaucoup. Du coup… cela peut inclure de nombreux blogueurs : voilà une frontière qui semble s'abolir. Semble.
– Un peu de commentaire ou de mise en contexte, voire de reformulation / synthétisation, ou un "extrait" (une idée forte) sont utiles pour apporter un peu de "valeur ajoutée", sinon cela devient trop robotisé.
– L'ensemble doit permettre de donner du crédit à celui qui lie. Car tout ceci contribue à renforcer son "autorité" : celui qui est journaliste de liens est journaliste de liens… parce qu'il le fait. On revient à une tautologie, mais c'est en forgeant que l'on devient forgeron, n'est-ce pas ?
La vraie question est la suivante: si Narvic publiait en 140 signes, serait-ce encore du narvic…
@ Philippe
On peut résumer encore plus : le journalisme de liens, c'est du journalisme (avec des liens). :-))
Et en France, le journalisme (amateur du moins) est une activité ouverte à tous et sans définition contraignante, qu'on peut définir en effet par une intention d'informer sur l'actualité.
@ Enikao
Ton commentaire me conduit à envisager le lien au même titre que la citation dans les travaux universitaires. Peut-être une piste…
@ Emmanuel
Il paraît qu'il a effectivement un compte Twitter, mais je pense que c'est une imposture.
@ Narvic
Il n'y avait pas de moquerie dans mon propos. Il me semble que l'intention durable d'informer peut distinguer des fabricants de buzz à la petite semaine ou des communicants en tous genres.
Excellents commentaires de @narvic. La validation, en assurant la qualité du contenu, est essentielle car elle contribue à la position d'autorité du journaliste (à distinguer de la notoriété qui, elle seule, ne suffit pas).
Steven Johnson a présenté sa vision du nouvel écosystème de l'information (news) http://tinyurl.com/bq2tu8 (très long billet, le schéma est tout au bas de la page). Cet écosystème comprend 4 niveaux d'action, chacun ayant différents acteurs : news, commentary, curation, distribution. Le travail que décrit @narvic semble correspondre au rôle du curateur, alors que selon Johnson, les journalistes professionnels sont au début de la chaîne.
@couve, votre étude est aussi très intéressante pour les sciences de l'information. Merci !
@ Josée
Merci pour le lien. Pas le temps de lire immédiatement le billet de Johnson mais le schéma semble effectivement intéressant.
@ Josée
Le billet de Johnson analyse effectivement l'ecosystème de l'information et positionne les journalistes (ou au moins une partie d'entre eux) dans le rôle de "curators" (ce terme que l'on peine à traduire en français) autrement dit de profesionnels dont l'activité consiste à trier/filtrer/valider les infos qui circulent sur le web.
Le propos est intéressant s'il n'est pas entièrement nouveau mais peine à répondre à la question que je me pose: à quel moment le fait de proposer un lien devient un acte journalistique?
@ Philippe
Je ne comprends pas tout à fait ta dernière question… ;-) Le problème est le même pour toute information : la question est celle de l'acte de publication. Un journaliste est censé publier des informations validées, je ne vois pas ce que ça change de le faire à un micro, sur du papier, ou par un lien dans un espace public du net (ça ne concerne pas évidemment le mail et toutes les formes d'échanges privés).
Un autre aspect de la question, pas encore vraiment soulevé : que faire face à un lien invalidé après vérification ? C'est la question du curator (Alain Joannès avait proposé, je crois, l'expression de "journaliste dépollueur", et moi de "journalisme de re-médiation", en jouant sur le terme de "remède"). Il y a un rôle d'alerte, de dénonciation face à la désinformation (les erreurs, comme les manipulations), qui relève du journalisme, et donc aussi du journalisme de liens.
passionnant débat (je reviens de chez narvic / et discussion twittée ici : http://twitter.com/nicolasvoisin/status/166833988… )
"Est-ce qu’un lien est une information ? " demande Narvic dans sa réponse.
> à mon sens c'est un signal. la différence est fondamentale /-)
Je rebondis sur la notion de curatoring (et non, on ne va pas traduire ça en Français, laissons cela aux cousin du Québec).
Outre qu'il conviendrait d'inventer un outil de mesure de la pertinence entre le contenu lié et le domaine de compétence du bookmarqueur, cela permettrait d'obtenir la classification suivante :
1) le buzz, fait par n'importe qui sur n'importe quoi
2) le lien proposé par un curator, en cohérence avec son domaine d'expertise, on parlerait alors de linkCuratoring, de linkCurator. Un sous domaine du digital curatoring.
3) le link Journalism, qui se devrait alors d'être autre chose que du curatoring, c'est à dire necessairement aporter une valeur ajoutée. Mais que reste-t-il alors comme espace pour les journalistes entre le link curatoring et la revue de presse ?
N'étant pas journaliste, je ne vais pas m'aventurer dans une réponse. Juste quelques pistes :
– la rédaction du micro texte servant de titre au lien (exercice dont je rafole à titre perso), s'apparente à la rédaction d'une pub adsense, mais aussi (et surtout), à l'écriture de titraille. Un exercice ô combien journalistique, saccagé depuis trop longtemps par l'impérieux besoin du SEO et la dictature de Google.
– l'adoption d'une taxonomie commune (une voie à explorer pour Publish2), là où les curator pourront, au mieux, se référer à des taxonomie spécialisées. Notez que les technologies sont ici en concurrence sérieuse avec l'humain. OpenCalais, pour ne pas le nommer, c'est à dire Reuters, ce qui devrait éveiller quelques craintes du coté des journalistes.
– une charte éthique commune. Reste à instaurer une police (aujourd'hui absente) pour regagner la confiance du public (plus ternie par les employeurs des journalistes que par les journalistes, il faut être honnête). Qui fait la police ? Les lecteurs ? Les journalistes eux même ? Une haute autorité ?
– quel modèle économique ? Au delà de la volonté farouche de lutter contre une amateurisation du traitement de l'information, et outre le fait qu'il conviendrait de reconnaitre parmi les amateurs pas mal de gens qui s'en sortent aussi bien voir mieux sur certains contenus, l'existence d'un modèle économique est fragile.
Trois-quatre exemples, comme le Drudge, et on en déduit une théorie. C'est pour l'instant mince (et à titre personel, j'aimerais que ce soit vrai), mais c'est mince, et s'il est un domaine où les 'pro' et les amateurs sont inégaux, c'est leur sensibilité aux revenus générés.
D'où la question : quelle valeur ajouté par rapport au linkCuratoring ?
@narvic
"Un autre aspect de la question, pas encore vraiment soulevé : que faire face à un lien invalidé après vérification ? C’est la question du curator (Alain Joannès avait proposé, je crois, l’expression de “journaliste dépollueur”, et moi de “journalisme de re-médiation”, en jouant sur le terme de “remède”). Il y a un rôle d’alerte, de dénonciation face à la désinformation (les erreurs, comme les manipulations), qui relève du journalisme, et donc aussi du journalisme de liens."
La dessus, je suis navré, mais ce rôle est définitivement tombé dans les mains des amateurs. L'année dernière, j'avais écrit un billet sur le 'rapport hadopi', dénonçant une manipulation qu'avaient, en coeur, reprise tous les média Français (piratage = perte d'emploi), et aucun journaliste, pas un seul, n'a fait ce travail de dépolueur ou de re-médiation. Les exemples de ce type sont légions, le plus souvent des erreurs non corrigées, plus que de grosse manipulation, il faut le reconnaitre.
@ Fabrice Epelboin,
Merci pour cette contribution.
Quelques remarques à la volée.
1- concernant la classification proposée, celui qui lie peut avoir des intentions différentes selon les moments (donner l'alerte sur un sujet, pointer vers une source, signaler une ressource documentaire, amuser, copiner, …)
2- je crois que les taxonomies rigides sont mortes si elles ne sont pas issues d'organismes assez forts pour les imposer et dans le domaine qui nous intéressse, il n'en existe pas plus. La seule taxonomie envisageable est une folksonomy (cf les hashtags de Twitter).
3- je ne crois pas à la police du journalisme mais bien plus à la transparence sur les conditions de production de l'information.
Bon, cela dit, je ne sais toujours pas ce qu'est ce satané "journalisme de liens"…
@philippe
On peut trouver des tonnes de taxonomie spécialisées, le problème, c'est qu'elles ont été conçues pour parler XML, pas français. Une folksonomie, ça montre tout de même très vite ses limites, outre que c'est spécifique à chaque langue, cela impose, si l'on veut réellement tirer de la valeur de l'info traitée par une masse de gens (pro ou pas), de créer des clusters (les ramener de force dans une taxonomie), sinon… c'est l'anarchie sémantique ! Pas facile de mutualiser/additionner les valeurs ajoutées par chacun avec ça.
Au delà du problème philosophique, il y a là un réel problème économique, car si la folksonomie suffisait pour faire un vrai journalisme de lien (ou du curatoring), alors Delicious serait bien plus que ce qu'il n'est (ou que n'a jamais été tout outil de ce type).
Que ce soit Delicious ou les services du même genre, aucun n'a réellement tiré pleinement parti de la 'sagesse des foule' (le terme est con, je l'admets), et je soupçonne fortement la folksonomie d'être un obstacle rédhibitoire, tout aussi sympathique qu'elle puisse être.
Pour revenir sur le journalisme de lien, il n'est certainement pas trop tard pour mettre en place une charte et assurer son respect au sein d'une communauté (police ou transparence – tu notera que la transparence, c'est la police fait par le public, ou tout du moins la crainte du gendarme que sera le public).
Une fois cette charte mise en place, les adhérents (journalistes) apporteraient à leurs liens un label qui a de la valeur. Là, on a un début de quelque chose qui mettrait les journalistes 'à part'.
Le soucis, c'est de savoir ce qui empêcherait certains amateurs de postuler à ce label.
Le journalisme de liens c'est le fait d'adopter la "blogueur attitude" ;)
Il faut se souvenir qu'il y a très longtemps (3-4 ans :) ) les médias traditionnels installés sur le web imaginaient que leur site était la destination ultime et qu'il fallait prendre la parole des journalistes comme celle des évangiles.
Or, le web c'est un réseau et chaque site n'est qu'un noeud du réseau qui renvoie à d'autres sites.
C'est ce qu'on compris très vite les blogueurs (un peu influencés par le Pagerank de Google) qui se sont mis à faire des liens pour référer à des textes, des images, des vidéos, etc.
L'information est devenue conversation, s'enrichissant (se citant) d'un site à l'autre, via les liens.
Puis les médias (et les journalistes qui vont avec) se sont rendus compte que des sites ne produisant que des liens (Drudge report) étaient bien plus lus que leurs (très longs) articles. Parce que ces liens étaient choisis, pertinents, orientés… bref éditorialisés.
Alors les journalistes les plus malins se sont dits: "Ben on va faire comme les blogueurs, et on va appeler ça "journalisme" de liens".
Faire du journalisme de liens, c'est :
1) Citer ses sources (plutôt qu'un copier-coller anonyme), même les plus prestigieuses.
2) Recommander des sites pertinents (special tribute à Nouvelobs.com qui le fait depuis longtemps, y compris en pointant vers des blogs)
3) Apporter une plus-value par rapport au site web cité à travers le lien.
4) Engager la conversation.
Tout le monde peut faire du journalisme de liens, mais ça prend du temps en vérification, analyse, réflexion, discussion. Donc autant être payé pour le faire ;)
Philippe sur samsa a publié un court billet sur la notion de journalisme de liens. S'en suit une belle discussion dont les arguments me font réagir.
Car cette pratique de "journalisme de liens" et sa dénomination ne colle pas (je trouve) avec la réalité de ce qui déclenche – ou non – nos clics sur un lien. Voici donc ma réponse laissé en commentaire chez Philippe. Je dévie un peu du sujet central, du coup je laisse les commentaires ouverts ici, mais vous pouvez tout à fait reprendre la discussion chez Philippe.
—-
Yop, j'arrive un peu tard mais bon :)
Je déplace une chouille le sujet : dans la mesure où tout le monde peut publier un lien, ce qui importe ce n'est pas tant le lien en lui-même que la qualité de celui qui l'a publié.
Prenons le cas tout bête de la grippe A.
Je suis un blogueur lambda qui écrit : "ce site grippea.fr est top"
Je suis un journaliste lambda qui écrit : "ce site grippea.com est top"
La plupart des lecteurs auront tendance à croire que le lien du journaliste est plus pertinent que celui du blogueur. C'est l'inévitable filtre de lecture qui repose sur la notion de "qui est cette source ?". Or, dans un monde à peu près cohérent, le journaliste est sensé apporter cette vérification.
Mais…
Je suis un blogueur reconnu sur les sujets de médecine : "ce site grippea.fr est top"
Je suis un journaliste lambda qui écrit : "ce site grippea.com est top"
Pour le coup, ce n'est plus le métier qui qualifie le lien mais l'influence (influenza ? ahahah) et la reconnaissance des pairs. La différence, fondamentale, est là.
Ceci dit…
Je suis un blogueur reconnu sur les sujets de médecine : "ce site grippea.fr est top"
Je suis un journaliste reconnu sur les sujets de médecine : "ce site grippea.com est top"
Egalité, balle au centre, ou pas ? Pour moi, oui.
Mais là où cela devient plus compliqué pour les journalistes, c'est dans le cas suivant
Je suis un blogueur reconnu sur les sujets de médecine : "ce site grippea.fr est top"
Je suis un journaliste reconnu sur les sujets de médecine qui écrit : "ce site grippea.com est top"
Je suis le ministère de la santé qui écrit : "ce site grippa.org est top".
Qui croire dans ce cas ? Qui va être capable de faire le travail de vérification entre le blogueur, le journaliste et le ministère ? Chaque internaute ? Que nenni, il n'a pas le temps.
Et c'est là où l'on retombe sur la notion de recommandation… notamment via les réseaux sociaux. Si je connais dans mon entourage des personnes capables de valider l'information, personnes qui ne sont pas journalistes mais dont l'expertise me permet d'assurer sa "qualification à valider", alors je le croirais plutôt lui.
Du coup, je suis carrément pour renommer l'expression "journalisme de liens" qui ne s'applique qu'à ceux qui sont journalistes, comme s'ils étaient les seuls qualifiés à proposer des liens pertinents.
Je propose plutôt : "Linking Influenza" pour le jeu de mot foireux avec le français "influence"…
Non, blague à part, parlons plutôt de "qualification de liens", non ? Mais cela implique que chacun se crée son propre réseau. N'est-ce pas ce qui est en train de se passer ?
Si on pousse la logique plus loin, certaines personnes qualifiées émergeront grâce à la richesse et la pertinence de leurs propositions. Eux, alors, représenteront la nouvelle génération de journalistes. Car, faut-il le rappeler, les journalistes qui ont créé leur journaux étaient tous des "influenceurs" dans leur milieu. On ne crée pas un journal parce qu'on connait la technique, mais parce qu'on connait un sujet, et que l'on est reconnu par nos pairs.
Scott Karp (Publish2) est "intervenu" hier (indirectement ;-) ) dans notre débat (reprenant Clay Shirky : sur le web les fonctions d'édition sont passées "en aval" de la publication. C'est là qu'il est utile de recréer des filtrages de l'information) :
http://publishing2.com/2009/05/02/retraining-wire…
Sur Taxonomie/folksonomie : cf. la conférence de David Weinberg dont Pisani/Piotet rendent compte dans leur livre (le fouillis est le désastre des taxonomies, et la richesse des folksonomies). Fin du chap.4 :
http://alchimiedesmultitudes.atelier.fr/pdf/extra…
Et si c'est pas du lien validé à haute valeur ajoutée ça ! ;-)
Les réflexions de Phil me font rebondir sur une question : de plus en plus de liens recommandés "se baladent" hors des blogs et des sites "html", dans les réseaux sociaux, Twitter, Delicious, etc. Comment Google tient-il compte de ces liens-là dans son algorithme ?
L'échange massif de liens "instantanés" qui se développe de +en+ et joue un rôle de +en+ important dans la diffusion des infos ouvre un "second front" dans l'économie des liens, où le rôle du Page Rank décline. Le nombre d'amis sur Facebook ou Friendfeed ou de followers sur Twitter devient plus important que le page rank dans la diffusion. Non? Où se placent les journalistes dans ce système-là ?
L'enjeu du journalisme de liens, c'est que le New York Times rachète Twitter, comme l'avance Humair Haque ?
http://blogs.harvardbusiness.org/haque/2009/04/tw…
Et hop, encore un super lien. ;-)
Subsidiairement ( ;-) ), c'est superfun de suivre les commentaires de ce billet directement depuis feedly…
@Cédric : tu as dit ce que je pensais mieux que moi, à propos du crédit que l'on accorde à celui qui lie. Du moins plus clairement. C'est énervant.
@Philippe : je ne pensais pas vraiment aux références bibliographiques ou les citations dans les travaux de type "mémoire", mais il y a peut-être de cela. Un peu d'auto-centrisme : j'apprécie, quand un sujet est déjà largement présent dans les médias traditionnels et très grand publics, de pouvoir lier sur le même sujet vers des sources dissonantes, étonnantes, concordantes mais avec une nuance… Bref, donner des références "pour aller plus loin". Mais c'est toujours en corrélation avec l'actualité, soit parce que le sujet l'est (même si absent des médias), soit parce que les liens éclairent un sujet d'actualité sous un nouveau jour.
Une piste complémentaire par ici : http://bit.ly/5xA7W ? (il fallait bien mettre un lien dans pareille discussion, non ? ;-)
Merci beaucoup pour tout ce débat, passionnant et foisonnant d'idées. Je n'ai d'ailleurs pas encore fini de cliquer sur tous vos liens pour en suivre les ramifications.
Ma petite pierre à l'édifice du débat, au sujet du lien dit "documentaire". En tant que journaliste Web, j'ai une utilisation systématique du lien. J'ai tendance à le considérer comme faisant partie de tout article Internet – essentiel, au même titre que les citations ou l'editing…. mais pas uniquement destiné à étoffer ou renforcer un propos. Parce qu'en liant un autre contenu, l'article se lie également.
Le lien vient certes souvent en illustration d'un texte, en ouverture supplémentaire ou en appui d'un argument. Il est donc, dans ce cas, forcément validé – lu, pesé, contextualisé. Avec, bien sûr, la contingence du Web qui implique qu'un contenu vers lequel un lien pointe peut évoluer… mais je pense que tout lecteur numérique est conscient qu'il s'agit de l'une des données fondamentales du "pacte de lecture" du Web. (Même si j'ai eu un jour une discussion passionnante avec un informaticien qui tentait d'imaginer des moyens simples pour le lecteur lambda pour vérifier si un contenu avait évolué ou non depuis qu'il a été lié.)
Plus globalement, pour tout article écrit pour le Web, un journaliste devrait avoir recours au lien. Avec cette perspective, parler de "journalisme de lien" a autant de sens que de parler de "journalisme de citation".
Je ne suis toutefois pas certaine qu'on puisse restreindre cette utilisation du lien à de la documentation – c'est surtout inscrire un contenu, un article dans un réseau. Choisir de le faire fonctionner avec d'autres informations. C'est aussi un geste éditorial, même si l'action de hiérarchisation est pensée différemment.
@narvic : merci pour tes liens à valeur ajoutée… mais ton pote d'Harvard tarde un peu ^^ http://www.chouingmedia.com/$blog/2009/01/16/quel…
@enikao : merci pour le compliment… ceci dit je m'aperçois en relisant le tien que je ne suis pas allé au bout de mon raisonnement.
En l'occurence, par un hasardeux calcul mathématique sur un échantillon représentatif de ma personne (c'est dire sa pertinence scientifique… ^^), le clic se déclenche selon deux critères répartis comme tel selon deux cas :
Je ne connais pas le bonhomme ou le site qui me propose le lien :
– 80% en fonction de la pertinence supposée du lien par rapport à mes attentes. C'est d'ailleurs toute la difficulté des éditeurs de pages d'accueil de site web : donner envie à l'internaute sans survendre. Sinon, au bout de 2 voir 3 fois, l'internaute ne verra plus les liens proposés comme étant pertinents. Et c'est la mort du site…
– 20% en fonction de la qualification de l'auteur, qualification que j'aurais réalisée avec mes propres critères. (cf mon commentaire précédent)
A l'inverse, si je connais le bonhomme ou ai confiance dans le site qui propose le lien :
– 20% en fonction de la pertinence supposée du lien par rapport à mes attentes.
– 80% en fonction de la qualification de l'auteur, auteur que je connais et dont je connais les (in)compétences.
Dans ce second cas je suis prêt à cliquer sur un lien a priori loin de mes attentes, tout simplement parce qu'il ouvrira peut être sur une découverte sympathique.
Z'en pensez quoi ? Quels sont vos critères ?
Interrogation ô combien intéressante et passionnante avec des commentaires de haute tenue.
J'y lis les termes de taxonomie, catégorisation, classification, éditorialisation, panorama de presse, sélection, éditorialisation, diffusion, etc. Je pourrais également rajouter dossier documentaire, abstract, résumé. ^^
Des choses que personnellement, et je ne suis pas le seul, je connais, met déjà en pratique tous les jours ou presque. Des interrogations, des tâtonnements, des essais, des réponses qui nous concernent également.
J'ai donc juste une question/proposition, en lançant un —petit— pavé dans la mare —aux canards. ^^
Dans votre volonté de réinventer, de faire évoluer le journalisme, dans vos questionnements —que je partage— face au rouleau compresseur du numérique et des réseaux qui bouleverse des pans entiers de la société, à commencer par nos métiers, n'êtes-vous pas tout simplement, dans votre coin, en train de réinventer, par cette idée de "journalisme de liens", le métier de documentaliste?
Ne serait-il pas judicieux et intéressant que ces deux branches de l'information confrontent, échangent leurs idées, leurs réponses, leurs pratiques aussi? Bref qu'elles croisent leurs expériences, s'enrichissent mutuellement. Les documentalistes/bibliothécaires ont beaucoup à vous apporter et réciproquement.
Quand je lis certains propos parlant d'officialiser le "journalisme de lien", de proposer une "charte" – et pourquoi pas une carte? – je reste bouche bée.
Pourquoi tant d'inepties?
Quand je vois les esprits surchauffer pour des queues de cerise, je relis les classiques:
Tim Berners-Lee: "On the web, to make reference without making a link is possible but ineffective – like speaking but with a paper bag over your head."
[ http://www.w3.org/DesignIssues/ ]
Voilà, c'est tout ce qu'il y a à dire sur la question du lien. Merci Tim.
Si le "journalisme de lien" c'est pour dire "mes liens sont meilleurs que les tiens", franchement je trouve ça nul. Sur le web personne n'a besoin de "référenceur en chef". A chacun de fouiner, de trouver ses sources, c'est l'essence même du web.
La seule taxonomie qui s'est imposée est celle de tout le monde. Elle vaut ce qu'elle vaut, mais elle est vivante, humaine. Et nul doute qu'elle évoluera.
Toute volonté structurante en la matière me semble suspecte, conservatrice et avant tout motivée par un esprit "politique" qui ne s'avoue pas publiquement.
Il y a du corporatisme dans l'air.
"Une fois cette charte mise en place, les adhérents (journalistes) apporteraient à leurs liens un label qui a de la valeur. Là, on a un début de quelque chose qui mettrait les journalistes ‘à part’.
Le soucis, c’est de savoir ce qui empêcherait certains amateurs de postuler à ce label." dixit Epelboin dans ses commentaires.
La dernière phrase ne fait frémir personne?
C'est le discours même de certains professionnels – pas tous – qui défendent leur pré carré.
Enfoirés d'amateurs…
C'est pourtant le même Fabrice qui répond à Narvic en disant que les amateurs ont pris le relais des journalistes – encore une formule à l'emporte pièce.
Fabrice, avais-tu besoin d'un cadre, d'une charte, d'une carte pour le faire, ton article sur Hadopi qu'aucun journaliste encarté n'a repris?
J'ai du mal à suivre.
Quand à toi, Narvic, médite ceci "The existence of the link itself does not carry meaning. " Toujours de la part de ce bon vieux Tim.
Qui ajoute "Links in hypertext are new in that they can be followed automatically, but the concepts of reference and inclusion of material predate paper. There should not therefore be much confusion about what links imply, but as there have been some strange suggestions recently which would seriously damage the web, I write this note."
A rapprocher du propos de Narvic : "Est-ce qu’un lien est une information ? Probablement.(…) Les anciens cadres conceptuels collent mal avec internet, il y a plein de choses à revoir. ;-)". Ah bon?
Je me demande encore et toujours ce que peut bien vouloir dire le "journalisme de lien".