[màj] Rajout des techniques de récit multimédia qu’un copier/coller hasardeux avait eclipsé
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Un repas, quelques convives* et une question : quel type de journaliste les rédactions web embaucheront-elles dans deux ans ? C’était le menu du dîner organisé avec le CFJ jeudi dernier.
La discussion ayant été dense, passionnante et riche, je vais essayer d’en synthétiser l’essentiel en dressant le portrait-robot élaboré entre le carré d’agneau et le plaisir de Darling’s aux fruits rouges.
Tous ceux qui étaient présents sont invités à compléter et corriger ce portrait-robot qui est loin d’être figé. Tous les autres peuvent également y apporter leur touche personnelle.
Ce portrait-robot n’est pas un exercice de futurologie provoqué par un abus de bordeaux mais un exercice destiné à affiner la formation des étudiants qui suivront la spécialisation multimédia du CFJ à partir de la prochaine rentrée.
Le journaliste reste un journaliste
Les éléments de base du métier demeurent : chercher les informations, les trier, les vérifier, les hiérarchiser, les mettre en forme et les publier.
Le journaliste descend de son piédestal
Il est fini le temps du magistère. Le journaliste doit considérer que son « audience »** détient informations et capacité d’expertise. Il doit se mettre en situation de faire émerger dans son activité le savoir et la connaissance de la communauté fédérée autour de son média. Dans ce contexte, le journaliste accepte également de voir son travail soumis à la critique.
Le journaliste est aussi un animateur de conversations
Au-delà de la recherche et de la publication d’informations, le journaliste doit considérer que son travail ne s’arrête pas au moment de la publication. La deuxième vie de l’information commence alors. Elle peut être commentée, rectifiée, enrichie, complétée par les apports des internautes. Le journaliste doit être présent au cours de cette phase.
Le journaliste baigne dans la culture numérique
Les moyens d’accès à l’information changent perpétuellement à l’ère numérique. Les sites les plus populaires évoluent. De nouvelles pratiques se mettent en place au fil du temps. Le journaliste se doit d’évoluer dans le même milieu que ses lecteurs/auditeurs/spectateurs et donc de fréquenter les mêmes lieux virtuels, d’utiliser les mêmes services, qui développent de nouveaux usages et constituent la base d’une « culture numérique » (digital literacy)
Le journaliste développe son agilité numérique
Au-delà du simple bain culturel et de la connaissance des usages, le journaliste doit également être en mesure d’utiliser les outils numériques les plus répandus, qu’il s’agisse d’outils collaboratifs ou d’outils destinés au travail de la photo, de l’audio ou de la vidéo. Les outils évoluant en permanence, le journaliste est formé à apprendre.
Le journaliste connait les bases de plusieurs médias
S’il n’est pas envisageable que le journaliste soit à la fois auteur de textes, de vidéos, de photos et d’audios, il est néanmoins souhaitable qu’il dispose d’une formation de base dans chacun des domaines, qu’il soit en mesure d’effectuer des réalisations simples et qu’il développe ensuite un savoir-faire d’excellence dans (au moins) un des domaines.
[màj] Le journaliste connaît les techniques de récit multimédia
Même si le dispositif actuel des rédactions web ne permet guère de dégager du temps pour des productions de type magazine, il apparaît nécessaire que le journaliste connaisse les techniques de récit multimédia (multimedia storytelling) qui permettent d’articuler le récit journalistique en combinant différents médias (texte, photo, audio, vidéo).
Le journaliste est aussi un animateur de communautés
La création d’une ou plusieurs communautés autour d’un média apparaît comme un enjeu central. Dans la mesure où les sollicitations sont multiples pour les internautes dès qu’il est question de leur faire mettre en ligne du texte, des photos ou de la vidéo, on peut imaginer qu’ils viendront déposer leurs informations auprès de la communauté à laquelle ils sont le plus attachés (voire à celles qui les rémunèrent le mieux, mais cette option ne paraît devoir être retenue que pour des cas exceptionnels). Savoir créer, animer, étendre une communauté virtuelle fait donc partie des enjeux essentiels.
Le journaliste est conscient de son environnement économique
L’économie des médias numériques est aujourd’hui particulièrement incertaine. Il est donc indispensable pour les journalistes de connaître les données de base du milieu (économique) dans lequel ils évoluent.
Le journaliste est capable de lire les chiffres de fréquentation
Les médias numériques ont ceci de commun qu’ils délivrent quasiment en temps réel les données de fréquentation. Le journaliste doit être en mesure de lire ces données et d’en tirer des enseignements adaptés.
Le journaliste doit apprendre à cohabiter avec les commerciaux
Les structures de rédaction qui se dessinent font se côtoyer services rédactionnels et services commerciaux souvent dans des bureaux voisins. Le journaliste doit être en mesure d’échanger avec les services commerciaux sans perdre de vue son éthique professionnelle.
Le journaliste peut assumer le rôle d’« éditeur »
Dérivé de l’acception anglo-saxonne, le travail d’édition ne consiste pas à produire des contenus journalistiques mais à mettre en scène des informations produites par d’autres en fonction de la connaissance du public et de la communauté à laquelle on s’adresse et en fonction des caractéristiques du support sur lequel les informations sont diffusées.
Le journaliste est capable de travailler avec les développeurs informatiques
L’une des tendances actuelles semble être une intégration progressive des équipes de développement informatique au sein des rédactions. Issus d’une autre culture professionnelle, ils devront être encadrés par des journalistes comprenant les enjeux et les contraintes de leur activité.
Le journaliste se pose la question du cycle de vie de l’information
La tendance continue au stockage des informations dans des bases de données exploitables via différentes interfaces impose la prise en compte du cycle de vie l’information. Désormais, une information n’est plus seulement produite pour une publication unique sur un seul moyen de communication mais pour des supports multiples qui ont des temporalités différentes.
Le journaliste a conscience des résistances de son milieu
Dans la période de bouleversements dans laquelle nous nous trouvons, le journaliste doit prendre en compte le fait que ses confrères ne sont pas tous nés à l’ère du multimédia (non digital natives). Ce qui peut créer des tensions au sein des rédactions.
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* les convives : Francis Pisani (Transnets), Alexis Delcambre (lemonde.fr), Johan Hufnagel (20minutes.fr), Emmanuel Parody (Les Echos et ecosphere), Benoît Raphaël (Le Dauphiné libéré et Demain, tous journalistes ?), Romain Brami (Yahoo ! France), Luc Legay (Rampazzo et associés et RU3), Sébastien Bailly (Grand Rouen), Stanislas Leridon (France 24), Michel Leroy (CFJ), Marie Ducastel (CFPJ), Valérie Pailler (CPJ)
[màj 16/06/2007] Cédric Motte vient de publier un post intéressant sur le même sujet.
**étymologiquement, « audience » vient du verbe écouter tandis que le public des médias numériques n’est pas seulement en position de réception d’informations mais il peut également en émettre.
bonjour Philippe,
Je découvre votre blog par l'intermédiaire de Damien. Papier très interessant. J'ajouterai : le journaliste est un modérateur de débat. Il écarte les messages qui lui semble contraire à la vérité et/ou injurieux. Il se méfie des campagnes de messages pas toujours spontannés.
@ Fabrice,
Je crois que les éléments que vous mentionnez sont effectivement importants mais ils entrent, il me semble, dans la dimension "animateur de conversation" et "animateur de communauté".
PhC
Merci Philippe pour cette synthèse tout à fait pertinente !
Il serait peut-être bon d'ajouter un point important qui relie le lecteur et l'auteur : l'éthique du journaliste/blogueur ou "déonthologie des nouveaux médias". Il y a une forte attente par rapport aux nouveaux médias, et il n'est pas toujours facile de trouver le juste équilibre entre l'information et la communication dans l'infosphère actuelle. Un retour de confiance entre les citoyens et les médias passera sans doute par une réflexion profonde sur la déontologie de l'information.
Une piste ? :
http://nethique.info/2006/10/12/quelle-ethique-po…
@ Natacha,
Merci pour cette remarque qui me permet de détailler un point qui passe apparemment un peu inaperçu même si c'est le premier dans ce portrait-robot: le journaliste multimédia reste un journaliste.
Cela signifie qu'il dispose des compétences techniques mais également des valeurs de la profession.
Dans cette optique, et dans le cadre de la formation, l'accent sera mis sur les questions de déontologie de manière très affirmée.
L'exigence est en effet réelle à plusieurs points de vue. Dans un contexte d'incertitude (économique notamment), le journaliste doit reposer sur des valeurs solides. Par ailleurs dans la mesure où il va être amené à articuler son action avec plusieurs autres métiers, il est indispensable qu'il n'oublie pas qui il est et ce que les lecteurs/internautes/auditeurs/téléspectateurs attendent de lui.
De ce point de vue, le texte de Dan Gillmor constitue une bonne piste, mais comme il le dit lui-même la profession croule sous les codes, chartes et autres. Et je ne suis pas convaincu qu'il existe une déontologie des nouveaux médias différente de celle des médias classiques. La déontologie est avant tout une pratique, il me semble, qui s'appuye certes sur une réflexion, mais qui n'a de sens que dans l'action.
Merci Philippe pour votre réponse,
Je me permets de développer un peu mon propos. Cette déontologie n'est malheureusement plus si évidente. La défiance est bien réelle, notamment sur le Net et chez les plus jeunes. Il y a des espaces où si vous pointez votre nez en tant que journaliste, vous prendrez une volée de bois vert.
L'un des problèmes me semble-t-il, et la porosité entre information, communication et marketing. Les journalistes multimédias peuvent être bernés par des chiffres fournis par des sociétés par exemple ou un acteur de l'actualité (les chiffres de société en ligne, le nombre falsifié de personnes présentes dans un meeting politique, etc.). Et les moyens réels pour les vérifier ne se trouvent pas si facilement, au moment où le journaliste travaille souvent dans des conditions difficiles et à partir de sources de plus en plus complexes. Les fondamentaux sont peut-être évidents pour la profession, mais ils le sont beaucoup moins pour les lecteurs/internautes/auditeurs/téléspectateurs qui ont besoin d'être rassurés.
Les médias en ligne (pro/amateur) auront besoin des recettes publicitaires, et un nouveau contrat confiance devra être scellé, je pense. Les journalistes comme les lecteurs savent aussi bien qu'il y a peu de supports de presse indépendants en France. On attend donc beaucoup du Net…
le journaliste deviendra cet être étrange et complexe qui ne pourra plus s'extraire de son milieu mais qui sera en perpétuelle évolution avec lui, il errera dans les limbes numériques, il se distinguera par sa capacité à analyser de manière pertinente ce flux continu d'informations incessant.
Dans la situation créée par l'arrivée des nouvelles technologies, ce n'est pas tant le statut du journaliste qui est le sujet primordial. La question est celle de la place du journalisme dans le monde d'aujourd'hui. En se trompant de niveau de logique, comme souvent dans les situations de changement de paradigme, on se trompe de question et on crée un faux problème tant il porte sur les effets et non sur les causes.
@ Patrick,
Comme il n'était pas possible de résumer l'ensemble de nos discussions, j'ai retenu ce qui concernait directement la problématique de départ: quelle formation pour les journalistes multimédia qui vont arriver sur le marché du travail en 2009?
La question a été néanmoins été abordée, par Francis Pisani notamment, d'une réflexion sur le rôle social de l'information.
Mais je l'avoue, la réponse n'a pas été apportée;-). Votre contribution est bienvenue tant il semble évident que le rôle et la place de l'information (et la définition même de l'information) sont en train d'évoluer sans les faits.
Cette réflexion est tout à fait pertinente. Elle est en soit une problématique pour le monde journalistique et toute personne produisant un contenu d'information.
Quand je suis interviewé (en tant que blogueur local) par des étudiants en école de journalisme issus d'établissements et cycles de formation différents, j'observe systématiquement un décalage entre ce que vous tentez d'évoquer avec justesse dans votre approche et ce qu'ils étudient.
Leur connaissance du multimédia est moindre et relative : seul la qualité de leur travail journalistique compte : collecte, véracité, vérification, … ce qui est tout à fait légitime !
Quand je leur parle en aparté de Flux Rss, de Services Web, de blogging, de bookmarking, de Widgets, de Planet, de digg-like, de réseaux sociaux, de partage et suivi de l'information, …. il n'y a plus personne !
Loin de se préoccuper de la place du journalisme de nos jours (ils interrogent des blogueurs pour obtenir une réponse), la déontologie et le statut restent une forme de reconnaissance future de leur travail.
Certains auront finalisé leur cycle en 2009 :-)
Entre les blogueurs locaux qui, pour certains, souhaitent une "reconnaissance journalistique", acteurs issus de l'Internet, connaissant bien l'univers du web et les rouages du multimédia online…
…. et certains journalistes, restant parfois dans leur bulle, revendiquant habillement les synergies traditionnelles de leur travail, ayant du mal à accepter les changements en cours liés à leur profession, aux nouveaux moyens d'information, méthodes et supports de communication…
… l'équilibre est encore à trouver :-)
Dans ce cadre différentiel, le journaliste de demain devra être capable de "s'autoformer" aux nouvelles technologies.
A entendre ces étudiants, il me semble que beaucoup d'écoles de journalisme ne sont malheureusement pas tout à fait prêtes à relever ce challenge !
@ Chrys,
Mon expérience personnelle me laisse penser aussi que le clivage n'est pas seulement générationnel. Certes, il y a ceux qui sont nés avec une souris à la main et les autres, mais en ce qui concerne le web et la manière dont il refonde un certain nombre d'activités, les plus jeunes ne sont pas forcément plus prêts que leurs aînés à s'y atteler et dans ce domaine (comme dans d'autres) les généralisations sont abusives.
Il n'en reste pas moins qu'il me semble avoir ressenti chez un certain nombre d'étudiants et de jeunes confrères une sorte de réaction de dépit. Ils semblaient dire: nous avons fait des études, nous avons passé des concours difficiles, nous avons fait des efforts financiers, tout ça pour qu'une fois arrivés à la porte du métier on nous dise que la porte a changé de place et le métier lui-même est en train de bouger.
Quelques uns comprennent rapidement qu'il existe là un contexte qui va ouvrir des opportunités. D'autres ont du mal à se défaire de la part d'inquiétude que génère la situation.
Je comprends parfaitement les deux réactions. Il appartient sans doute à ceux qui sont un peu plus âgés (et j'en fait partie) d'essayer de leur donner les moyens de tirer tout le parti possible de ce moment assez exceptionnel pour participer à la naissance d'un nouveau média.
Hervé,
Claire m'a dit de vous envoyer ce document qui je pense vous intéressera…
Bien à vous,
Aurélie Florent
Responsable de projet nouveaux médias Capa
c'est amusant cette description, je suis diplomé de l'IPJ (le "j" c'est pour journaliste pour ceux qui ne connaissent pas), et aujourd'hui je suis responsable marketing online et c'est pour toutes ces raisons qu'on a m'a embauché comme tel il y a quelques années, connaissance des médias, animation de communauté, connaissance des dévs, cohabiter avec les commerciaux etc. Finalement si on enlève la déontologie, le journaliste multimédia est très proche d'un marketeux et des problématiques marketing…
Justement, si on enlève la déontologie, c'est sans doute là que les différences commencent (ou devraient commencer) à se faire sentir…
tout à fait ! tout comme pour l'argent (post sponsos, liens commerciaux dans les articles), l'information doit être soumise à une déontologie (vérification de l'info, indépendance financière etc.) c'est ce qui fait que le journaliste est ce qu'il est : une source d'information fiable et "objective". Certains blogs comme Techcrunch France, rappellent souvent que TCF est un blog avec tout ce que ça comprend. Le journaliste multimédia (web ecrit, podcast, vcast etc.) sera ce "marketeux de l'info" qui a une déontologie
Ayant exercé des 2 côtés de la barrière ( journaliste / management ), je ne peux qu'abonder dans le sens d"une meilleure compréhension de l'économie d'un média par les journalistes. Il ne s'agit d'ailleurs pas de "vendre son âme à la pub" ( ce qui ôterait toute crédibilité au contenu ) mais de participer comme tous les autres pôles de l'entreprise à la réinvention des modèles d'affaires, qui passe d'ailleurs par une réinvention de l'offre… pour ceux que cela intéresse : http://idead.typepad.com/idead/2009/01/pub-conten…
Bonjour Phillipe,
Je me sens tres illustre par ce blog qui n'en fini pas de me séduire…BRAVO./
Je ne de9fend pas FaceBook, tout autant que je suis d’accord avec toi sur l’environnement lui-meame (commercial, ferme9, etc.).Je dis seneemlut que l’on ne doit pas ignorer FaceBook et qu’il est trop simple de dire (ou de penser) qu’on peut lui dire simplement non merci . On ne doit pas non plus faire de FaceBookcentrisme, tant dans la promotion que dans la de9traction, l’univers Internet ne s’y limite pas, c’est e9vident.C’est le meilleur bain parce que c’est sans doute le plus dangereux, le plus incontournable e9galement (l’incontournabilite9 reste e0 voir, mais cette anne9e, e7a entre dans la ligue du Wii et du iPhone).