Francis Pisani voit dans la couverture du massacre de l’université américaine Virginia Tech l’illustration de l’aspect indispensable et inéluctable de ce phénomène que l’on désigne sous le vocable de « journalisme citoyen ».
Passons sur l’appellation « journaliste citoyen » qui ne satisfait presque personne et examinons l’une des remarques de Francis:
Loin d’être un défaut comme le considère la presse traditionnelle, le fait que la plupart des articles reflètent un point de vue leur “confère de l’intérêt”. Et dans une situation comme la tragédie du Virginia Tech, les infos sont constamment mises à jour ce qui en fait des “histoires vivantes”.
Il existe donc une valeur informative dans le témoignage brut qui en fait tout le prix aux yeux des internautes. J’ai tenté de représenter les éléments qui peuvent fonder la valeur d’une information (comme celle du massacre de Virginia Tech) dans le diagramme ci-dessous.
Légende: UGC = user generated content (contenu produit par les internautes)
L’implication dans l’événement caractérise le témoin qui est partie prenante de l’événement et qui se dit « ça aurait pu être moi ». Il est émotionnellement directement impliqué dans l’événement.
L’objectivité, a contrario, définit l’état de celui qui n’est pas émotionnellement engagé et qui cherche à reconstituer les faits.
La proximité s’entend au sens physique, mais à l’image de Fabrice à Waterloo (La chartreuse de Parme, Stendhal) il est possible d’être au coeur de la bataille et de ne pas comprendre ce qui est en train de se passer.
L’éloignement s’entend au sens géographique dans la mesure où le journaliste est rarement présent au moment où un fait divers se déroule.
Ce diagramme ne prend pas en compte le temps de publication, qui est l’autre donnée importante lorsqu’il s’agit d’un événement en train de se produire.
A la fin du XIXe siècle, l' »objectivité » a été inventée pour permettre aux journaux d’atteindre des tirages importants en fournissant des informations sur lesquelles tout le monde pouvait être d’accord. Et le journaliste s’est retrouvé en charge d’assurer cette objectivité. Son regard était supposé être celui par lequel chacun pouvait se faire une idée d’un événement.
Est-ce qu’aujourd’hui ce serait la pluralité des regards personnels qui serait garante de l’accès au plus grand nombre? Si vous avez un avis, n’hésitez pas à le donner.
Deux éléments ne sont pas pris en compte dans ce diagramme.
1/ Le lieu occupé par celui qui parle. Que l'on soit blogger, témoin, acteur ou observateur de l'événement, le locuteur n'est pas soumis aux mêmes règles de discours. Le journaliste, par exemple, s'impose de suivre à la fois un ensemble de règles professionnels élaborées par l'usage et l'éthique du métier. Il est également soumis au respect du droit de la presse qui, dans certaines contrées, peut être particulièrement dissuasif et/ou contraignant.
2/ La notion d'exclusivité de l'information, car si l'on questionne sa valeur, il est possible d'en déterminer un prix et un coût. Prenons l'analogie du diamant : ce qui fait sa valeur, c'est la taille (sa grosseur) et la pureté de la pierre, tandis que ce qui fait ensuite son coût est la taille (celle du tailleur) et le talent du joailler à la vendre. L'addition valeur + coût donnant un prix. Il semble que l'information sur Internet soit en train de bouleverser ces critères de valeur, de coût et de prix. Si chacun peut avoir et transmettre une information de valeur, son prix demeure le résultat d'un processus complexe et relativement professionnalisé.
Tout cela pour dire que l'adage de Mac Luhan "medium is message" m'apparaît toujours aussi juste sur le net, que les conditions de production de l'information (temps plus argent) évoluent (moins de temps et d'argent mais plus de savoir-faire ?) mais ne changent pas fondamentalement et qu'enfin, le rapport journaliste/détenteur d'information/internaute n'est pas encore "stabilisé" comme disent les informaticiens.
Bref, l'horizon est large et la route sineuse !
David,
Je crois que j'ai tenté de résumer ton premier point sur l'axe vertical en le nommant "objectivité". Peut-être faudrait-il affiner le libellé.
Pour ce qui concerne la notion d'exclusivité, j'ai des doutes. Qu'est-ce qu'un scoop aujourd'hui? Deux ou trois minutes pendant lesquelles on est le seul à donner une info avant qu'elle ne soit reprise par des sites partout à la surface du globe. Je ne dis pas que ça n'a pas de valeur mais que cette valeur tend à se démonétiser.